Sékou Chérif Diallo

Système éducatif guinéen : l’autre grand corps malade de la République


Gouvernance


Il est largement admis que l’éducation est un moyen de lutter contre toutes les formes de pauvreté. Plus une population est éduquée, plus elle est productive. L’éducation conditionne la modification des comportements sociaux. Elle est le jalon de la compétitivité des Etats.

François Dubet et Danilo Martucceli, dans leur ouvrage intitulé, « A l’École : sociologie de l’expérience scolaire », rappellent que l’institution scolaire n’a pas qu’une fonction instrumentale, à savoir produire simplement des qualifications, mais selon eux, elle « produit aussi des individus ayant un certain nombre d’attitudes et de dispositions ». Ils soutiennent qu’être citoyen, non seulement ça s’apprend, mais ça doit aussi être un désir partagé pour assurer « la pérennité d’une communauté de destin ». D’un autre point de vue, on relie souvent la vitalité démocratique d’une société à la qualité de l’éducation citoyenne promue par son système éducatif.

La population guinéenne est caractérisée par un faible niveau d’instruction. Selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2014, environ 32 % des personnes âgées de 15 ans et plus sont alphabétisées, contre 68 % de personnes non alphabétisées. Le système éducatif guinéen est confronté à des problèmes structurels qui accentuent son incapacité à améliorer la qualité de l’offre et son attractivité.

Le financement du secteur en deçà de la moyenne des pays de la sous-région

Le système éducatif guinéen dans son ensemble souffre de sous-financement depuis une longue période. Selon le document Programme sectoriel de l’éducation 2015-2017, en 2005, la part des dépenses courantes du secteur sur les ressources propres de l’État (hors dons et hors secteur minier) était de 14 %. En 2012, la même donnée s’établit à 14,8 %, une valeur peu différente.

Sur le financement public du secteur de l’éducation, une note de l’AFD nous apprend qu’en 2013, le budget de l’éducation a représenté 3,2 % du PIB (par rapport à 4,7 % au niveau mondial) et 15,2 % du budget de l’État (contre une moyenne de 17 % pour l’Afrique subsaharienne). La même note souligne que l’arbitrage entre sous-secteurs n’était pas favorable à l’éducation de base, et en deçà des objectifs fixés par la communauté internationale (la part du budget allouée au primaire était relativement faible, de 43,3 %, tandis que celle allouée au supérieur s’élevait à 32,5 %). La part de l’enseignement primaire dans les ressources publiques allouées au secteur a diminué de 51 % en 2002 à 47 % en 2008, puis à 43 % en 2013. Malgré un certain effort croissant de consacrer au secteur de l’éducation des ressources publiques, cela reste en deçà de la moyenne des pays de la sous-région.

Dans un rapport d’analyse sectorielle publié en 2019 par l’Unesco intitulé « Guinée : Analyse du secteur de l’éducation et de la formation, Pour l’élaboration du programme décennal (2019-2028)« , les auteurs révèlent que le peu de ressources matérielles et financières disponibles sont dirigées principalement vers les services dont les activités sont les plus urgentes (préparation des examens, statistiques) et non les plus importantes en termes de qualité de l’éducation (formation du personnel administratif, des enseignants, élaboration des plans annuels).

La qualité, un des objectifs de l’éducation pour tous

Dans une publication intitulée Perspectives : L’école au service de l’apprentissage en Afrique, publiée en 2018, la Banque mondiale dresse un constat alarmant sur la qualité de l’éducation en Afrique. Selon l’institution, l’Afrique a fait d’incontestables progrès pour augmenter la scolarisation dans le primaire et le premier cycle du secondaire. Pourtant, près de 50 millions d’enfants restent non scolarisés et la plupart de ceux qui fréquentent l’école n’y acquièrent pas les compétences de base indispensables pour réussir dans la vie.

Elle souligne que la faiblesse des acquis scolaires dans la région [l’Afrique] est préoccupante : « trois quarts des élèves de deuxième année évalués sur leurs compétences en calcul dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne étaient incapables de compter au-delà de 80 et 40 % ne parvenaient pas à effectuer une addition simple à un chiffre. En lecture, entre 50 et 80 % des élèves de deuxième année ne pouvaient pas répondre à une seule question tirée d’un court passage lu et un grand nombre étaient incapables de lire le moindre mot. »

Si le défi de la scolarisation dans le primaire est en passe d’être gagné en Afrique, avec plus de 80 % des enfants qui achèvent ce cycle, la qualité de l’enseignement proposé reste un défi.  

Au cours d’une conférence sur l’école de demain pour l’Afrique organisée par l’AFD en 2018 à Paris, le péruvien Jaime Saavedra, directeur pour l’Éducation de la Banque mondiale a résumé les enjeux en ces termes : « la scolarisation n’est pas l’apprentissage ». En d’autres termes, sans une éducation de qualité, la scolarisation ne suffit pas. Les chiffres sont inquiétants : « parmi les enfants scolarisés en Afrique subsaharienne, 93 % n’ont pas acquis les compétences de base en lecture et 86 % en mathématique. »

Dans un article intitulé Les défis de l’éducation dans les pays riverains de la méditerranée, Jean-Claude Vérez soutient que « privilégier la qualité de l’éducation plutôt que la quantité revient à dissocier acquis des élèves et taux de scolarisation, formation d’une élite et fuite des cerveaux, hausse du nombre de diplômés et chômage massif de ces mêmes diplômés, formation générale et employabilité, etc. » Chimombo, cité par Fatou Niang dans un article intitulé L’école primaire au Sénégal : éducation pour tous, qualité pour certains, soutiendra cependant que « s’il est théoriquement admis que l’élargissement de l’accès à l’éducation devrait aller de pair avec l’amélioration de la qualité, réaliser conjointement ces deux objectifs peut être difficile pour les pays d’Afrique subsaharienne ».


« La scolarisation n’est pas l’apprentissage« 

Jaime Saavedra

Depuis la conférence mondiale sur l’éducation pour tous de Jomtien en 1990, les organisations internationales ont adjoint à l’objectif d’expansion de l’éducation, l’impératif d’amélioration de la qualité. Mais il a fallu attendre le Forum mondial sur l’éducation pour tous de Dakar en 2000 pour que la « qualité » soit au centre du débat sur le développement de l’éducation, particulièrement en Afrique subsaharienne. À cet effet, l’objectif 6 de l’Éducation pour tous illustre l’importance d’intégrer l’enjeu « qualité de l’éducation » dans les politiques publiques des États : « améliorer sous tous ses aspects la qualité de l’éducation dans un souci d’excellence de façon à obtenir pour tous des résultats d’apprentissage reconnus et quantifiables – notamment en ce qui concerne la lecture, l’écriture et le calcul et les compétences indispensables dans la vie courante. »

Le défi de l’éducation pour tous, que la communauté internationale s’est engagée à relever à Dakar en 2000, a entraîné une hausse importante des besoins en personnel enseignant. L’Afrique subsaharienne n’échappe pas à cette réalité. Non seulement elle manque de ressources enseignantes, mais elle constitue aussi une partie du monde qui fait face à une croissance rapide de sa population en âge de fréquenter l’école.

Faible qualification du personnel de l’éducation, difficiles conditions d’enseignement et corruption

De façon générale, l’insuffisance de personnel qualifié pour assurer une bonne gestion administrative courante et conduire les politiques de réformes est une problématique majeure en Guinée. Le secteur de l’éducation n’échappe pas à cette réalité.

Dans un rapport synthèse de 2019 sur les ODD, intitulé Les pays sont-ils en bonne voie d’atteindre l’ODD 4 ?, les auteurs du rapport soulignent que la proportion d’enseignants formés chute en Afrique subsaharienne.

Rappelons que la cible 4.c des ODD vise « d’ici à 2030, d’accroître considérablement le nombre d’enseignants qualifiés, notamment au moyen de la coopération internationale pour la formation d’enseignants dans les pays en développement, surtout dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement ».

Cependant, en Afrique subsaharienne, selon ce même rapport de 2019 sur les ODD, seuls 64 % d’enseignants du primaire et 50 % d’enseignants du secondaire ont reçu les formations minimum organisées requises, et ce pourcentage est en baisse depuis 2000 à la suite du recrutement d’enseignants contractuels sans qualifications pour combler les déficits à un coût moindre.

En Guinée, selon le rapport d’Évaluation sommative de l’appui du GPE à l’éducation au niveau des pays publié en mai 2020, « des mesures ont été prises pour introduire de nouvelles méthodologies et de nouveaux modes de formation des enseignants ». Mais selon les auteurs du rapport, « ces mesures sont en partie demeurées au stade d’essai et ne s’étendent pas encore à l’ensemble du pays. Elles comprenaient, entre autres : la mise à l’essai d’un programme de formation initiale de trois ans pour enseignants de niveau préscolaire dans trois centres de formation des enseignants ; l’introduction d’une formation des enseignants en cours d’emploi sur la pédagogie de la lecture dans les petites classes ; le soutien à quatre centres de formation des enseignants ». Les données dans ce rapport du Partenariat mondial pour l’éducation, indiquent une pénurie d’enseignants formés (seulement 19,5 %) dans les écoles secondaires publiques et, dans une moindre mesure, dans les écoles primaires.

Sur la problématique de la défaillance du système éducatif guinéen et les faibles taux de réussite au baccalauréat, l’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Bailo Teliwel, dans une interview en 2019 soulignait : « le plus important n’est pas la régression des taux d’admission mais bel et bien la régression de la qualité de l’enseignement ». Il faut rappeler que la Guinée a connu en 2018 (26,04 %) et 2019 (24,38 %) les taux de réussite au baccalauréat les plus faibles de son histoire. Pour ce professionnel et ancien acteur du système éducatif guinéen, « l’admission et le taux qui le chiffre sont les résultats d’un système et d’un processus qui est bien antérieur à l’examen. » Selon lui, cette situation est la résultante de plusieurs facteurs : « les équipements, les infrastructures, la pédagogie, la qualité de l’administration, les activités scolaires et extra scolaires, l’encadrement parental et social, les politiques éducative, sociale et économique, les comportements, notamment des élites etc. »


Il faut rappeler que la Guinée a connu en 2018 (26,04 %) et 2019 (24,38 %) les taux de réussite au baccalauréat les plus faibles de son histoire.


Pour illustrer les conditions d’enseignement et la dévalorisation du métier d’enseignant en Guinée, EsterBotta Somparéet AbdoulayeWotem Somparé, dans un article intitulé La condition enseignante en Guinée : des stratégies de survie dans le champ scolaire et universitaire guinéen, racontent des anecdotes qui ironisent la pauvreté de ces acteurs essentiels du système éducatif : « je ne donnerai jamais ma fille à un enseignant, c’est un gendre trop pauvre », déclare un père, ou encore « vous n’êtes qu’un enseignant, vous ne pourrez jamais acheter ça ! », réponse à un professeur d’université qui demande le prix d’une voiture à un vendeur. Ces auteurs rappellent le contraste du métier d’enseignant aujourd’hui en Guinée, avec « le prestige dont cette profession était entourée à l’époque coloniale. »

La question du salaire des enseignants et son impact sur la qualité de l’éducation reste problématique. Il n’est plus à démontrer la corrélation entre un salaire attrayant et l’attractivité de la profession. Un salaire attrayant permet d’attirer et de retenir les diplômés les plus qualifiés dans la profession d’enseignant. Le salaire a toujours été au cœur des revendications du syndicat des enseignants guinéens avec son corollaire de grèves quasi permanentes ces dernières années.

Sur le matériel pédagogique dérisoire voire inexistant, il est rapporté dans un article publié dans Jeune Afrique intitulé Guinée : pourquoi les enseignants sont-ils en grève ?, les interrogations d’un enseignant guinéen : « Avec les cours théoriques seulement, les élèves comprennent difficilement. Mais comment effectuer des travaux pratiques sans laboratoire ? », « Il n’y a même pas de bibliothèque ! » poursuit-il. Se prononçant sur les effectifs pléthoriques dans les salles de classe, l’enseignant témoigne qu’ils s’élèvent à « 130 élèves, voire plus » par salle de classe.

Cette situation renvoie à la problématique du financement du secteur et l’utilisation des fonds d’appui au secteur de l’éducation. Selon le rapport du Partenariat mondial pour l’éducation publié en mai 2020, en Guinée, comme dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur est essentiellement financé par l’État, mais la majorité des dépenses d’investissement sont financées par des organismes externes. Par conséquent, les principales réalisations en matière de mise en œuvre des plans sectoriels dépendent du soutien des bailleurs de fonds. Toujours selon ce rapport, « L’aide publique au développement (APD) consacrée à l’éducation en Guinée est passée de 38,1 millions de dollars américains en 2015 à 47,1 millions de dollars américains en 2017 ».

La corruption affecte négativement la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs. Elle réduit les dépenses d’éducation, favorise le gaspillage et la mauvaise allocation des recettes de l’État.

Dans Écoles corrompues, universités corrompues : que faire ? publié en 2009, Hallak et Poisson définissent la corruption dans le secteur de l’éducation comme « une utilisation systématique d’une charge publique pour un avantage privé, qui a un impact significatif sur la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs et, en conséquence, sur l’accès, la qualité ou l’équité de l’éducation. »

Ces auteurs énumèrent les conséquences de la corruption dans le milieu éducatif selon trois principaux aspects : l’accès à la ressource éducative, la qualité du système éducatif et l’équité du système éducatif. Il ressort des conclusions de ces auteurs que la corruption influence négativement ces trois aspects et est un frein au développement social.

Lamia MOKADDEM, dans un article intitulé La corruption compromet elle la réalisation de l’éducation pour tous ? : les canaux de transmission, souligne quant à elle, que  « plusieurs études et données empiriques mettent en évidence que les pays où les niveaux de corruption sont les plus faibles tendent à avoir des services publics très efficaces et à réaliser les meilleures performances éducatives. »

Classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde, la Guinée occupait la 130e place sur 180 pays de l’Indice de la Perception de la Corruption dans le secteur public de Transparency International 2019. Selon une enquête Afrobarometer de 2020, une écrasante majorité (82%) des Guinéens évaluent la performance du gouvernement dans la lutte contre la corruption comme étant « plutôt » ou « très » mauvaise. Toutes les formes de corruption ont cours en Guinée, aussi bien la corruption active que la corruption passive. Le phénomène touche tous les secteurs de l’administration avec une ampleur plus grande dans les services de l’économie et des finances (douane, impôts, marchés publics…).

Sékou Chérif Diallo



Guinée : fraude à la Constitution en cours

Très tôt « Sacralisée » « Fétichisée », la Constitution en Afrique est « devenue un texte ordinaire voire banal. L’entêtement d’Alpha Condé de vouloir instrumentaliser la Constitution pour briguer un troisième mandat expose la Guinée aux démons des crises politiques majeures dans une sous-région confrontée à la montée du terrorisme dans un contexte de pauvreté grandissante.

« Le Président de la République a pris acte de la volonté librement exprimée par la totalité de membres du Gouvernement de s’inscrire résolument dans la dynamique du Référendum pour une nouvelle Constitution reflétant l’aspiration légitime du Peuple de Guinée à se doter d’institutions et de lois plus adaptées à l’évolution de la situation socio-économique ». Ce compte rendu du Conseil des ministres de ce jeudi, 27 juin 2019 est la suite logique d’un projet qui connait déjà plusieurs épisodes (démission du ministre de la justice dans une lettre publiée le 27 mai 2019, création d’un front national pour la défense de la constitution le 3 avril 2019, répressions de membres de ce front à N’Zérékoré le 14 juin 2019 soldées par de morts et plusieurs blessés, organisations de mouvements de soutien au projet de nouvelle constitution par les membres du gouvernement…).

Depuis plusieurs mois, ce débat fait rage en Guinée. Élu président de la République en 2010 dans des conditions invraisemblables émaillées de fraudes, puis réélu en 2015 pour un deuxième et dernier mandat de 5 ans, Alpha Condé, « opposant historique », labelisé « premier président élu démocratiquement de la Guinée » est aujourd’hui âgé de 83 ans. S’il ne s’exprime pour l’instant sur le sujet que de manière très elliptique, Alpha Condé lors d’un entretien télévisé accordé à des journalistes sénégalais en avril 2019, affirmait « S’il y a modification de la Constitution, il y a troisième mandat. S’il n’y a pas de modification de la Constitution, il y a mandat ou pas ».On comprend aisément la démarche. Une gymnastique juridique déjà expérimentée dans d’autres pays, qui consiste à proposer une nouvelle Constitution à la place de la modification de celle en vigueur. L’objectif visé est de permettre aux législateurs de jouer sur la notion de non-rétroactivité de la loi.

Faure Gnassingbé, Idriss Déby … des mandats présidentiels limités mais prolongés

Au Togo, les députés issus des élections législatives controversées du 20 décembre 2018, ont voté le 8 mai 2019 une révision constitutionnelle prévoyant la limitation du nombre de mandats présidentiels. Mais les législateurs togolais ont tout simplement pris soin de mentionner que la nouvelle réforme n’est pas rétroactive. « Les mandats déjà réalisés et ceux qui sont en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi constitutionnelle ne sont pas pris en compte dans le décompte du nombre de mandats pour l’application des dispositions des articles 52 et 59 relatives à la limitation du nombre des mandats », ajoute l’alinéa 2 de l’article 158. Autrement dit, l’actuel président, Faure Gnassingbé au pouvoir depuis 2005 peut encore se représenter aux deux prochains scrutins, en 2020 et 2025.

Depuis le 19 août 2017, date du début des contestations populaires exigeants le départ de Faure Gnassingbé, la crise togolaise a mobilisé les organisations africaines notamment la CEDEAO pour trouver une sortie de crise. Les présidents de la Guinée et du Ghana, Alpha Condé et Nana Akufo-Addo désignés par leurs homologues pour mener la médiation ont peiné à trouver une issue à la crise togolaise. Accusé de faire le jeu de son homologue togolais, Alpha Condé, le médiateur de circonstance, semble susciter de la méfiance auprès d’une partie de l’opposition togolaise. Pour l’opposant togolais Nicolas Lawson, président du Parti du Renouveau et de la Rédemption (PRR), le Président guinéen n’est pas un modèle pour assurer la facilitation dans la crise togolaise. Il estime qu’en Guinée les droits de l’homme ne sont pas respectés. « Celui qu’on appelle aujourd’hui le deuxième facilitateur, je vois ce qu’il fait chez lui, des femmes qui sont tabassées, des enfants qui sont tabassés, des jeunes gens en chômage et dans la misère. Alors que ce pays est riche en ressource minière. Vous, vous avez eu la chance, par la grâce de Dieu, au-delà de 70 ans, de devenir Président de ce pays béni et vous ne voulez plus partir. Des gens manifestent et on les tue » a indiqué l’opposant togolais.

Dans un article publié le 14 décembre 2018 dans le Monde, l’auteur cite un diplomate de la région sur la médiation dans la crise togolaise « le président togolais n’a pas grand-chose à craindre de la CEDEAO. Nana Akufo-Addo [le président ghanéen], qui accueille des opposants, ne veut pas se retrouver accusé de collusion avec ceux-ci et Alpha Condé [le président guinéen] ne va pas faire pression sur Faure Gnassingbé quand lui-même tente de se présenter à un troisième mandat en 2020. »

Au Tchad, la nouvelle Constitution promulguée le 4 mai 2018 par Idriss Déby qualifiée par l’opposition de « coup d’Etat constitutionnel », renforce les pouvoirs du président tchadien au pouvoir depuis 1990 et qui est à son cinquième mandat qui doit s’achever en 2021.  Avec la mise en place d’un régime présidentiel intégral, sans Premier ministre ni vice-président, adoptée par le parlement et non par référendum, la nouvelle Constitution tchadienne qui marque le passage à la IVe République pourrait permettre à Idriss Déby de rester au pouvoir jusqu’en 2033.

« Sacralisée » « Fétichisée », la Constitution en Afrique est « devenue un texte ordinaire voire banal

La limitation du nombre de mandats apparait comme l’une des principales caractéristiques des constitutions africaines adoptées au début des années 90. Dans un contexte de présidents à vie, le choix d’une telle option reposait sur l’impérieuse nécessité de favoriser l’alternance au pouvoir. Près de trois décennies après, les pouvoirs politiques dans certains pays africains peinent à respecter le texte fondamental de leur nation : la Constitution.

Un ensemble de textes juridiques qui définit les différentes institutions composant l’État et qui organise leurs relations, la Constitution est considérée comme la règle la plus élevée de l’ordre juridique de chaque pays.

Très tôt « Sacralisée » « Fétichisée », la Constitution en Afrique est « devenue un texte ordinaire voire banal. Pourtant, l’on avait cru, à la faveur ou à l’issue des transitions démocratiques, à la résurrection de la Constitution » écrit le juriste Karim Dosso. Dans le même ordre d’idées, le professeur de droit Fabrice Hourquebie dans un article intitulé : le sens d’une Constitution vu de l’Afrique affirme : « Norme suprême tantôt instrumentalisée par le pouvoir en place ; tantôt déstabilisée par la banalisation des révisions en dépit de la rigidité affichée ; ou encore menacée de l’intérieur par un contenu crisogène ; voire même concurrencée par des accords politiques à la portée juridique discutable ».

La désacralisation de la Constitution trouvait son explication dans l’irruption de l’armée dans la vie politique, où « le coup d’Etat emporte (  ) à la fois le chef de l’Etat, les institutions, la Constitution ». Ces derniers temps, nous assistons au développement d’une nouvelle forme de prise ou de conservation du pouvoir : les coups d’Etat civils.

Aujourd’hui, une stratégie plus ingénieuse caractérise l’instrumentalisation juridique des constitutions en Afrique, celle qui consiste à solliciter l’avis du peuple pour rester au pouvoir. C’est ce que le chercheur Alioune Badara Fall explique en ces termes : « Les présidents africains utilisent un processus démocratique pour contourner « légalement » une règle démocratique normalement contraignante. La limitation des mandats est conforme à l’esprit démocratique parce qu’il garantit ou favorise l’alternance dans un pays ». Assane Thiam, dans le contexte sénégalais, désignera de « coups juridiques » cette intensité de l’activité constitutionnelle. Dans un essai intitulé : Essai d’explication du déficit de garantie de la liberté politique au Togo, Sassou Pagnou souligne que « le génie politique a développé (  ) au moins trois types de stratagèmes : les révisions constitutionnelles à l’objet peu licite et controversé, les interprétations de la constitution trahissant son objet et l’abstention de voter les lois organiques devant compléter la constitution ».

« Respect de la forme pour combattre le fond, c’est la fraude à la constitution »

La fraude à la Constitution est en passe de devenir une redoutable pratique pour nombre de gouvernants africains. La modification de l’esprit de la constitution par le pouvoir de révision constitutionnelle tout en respectant la forme régulière de la révision constitutionnelle constitue une « fraude à la constitution ». C’est Georges Liet-Veaux qui a pour la première fois, utilisé cette notion en 1943. Il définit la fraude à la constitution comme le procédé « par lequel la lettre des textes est respectée, tandis que l’esprit de l’institution est renié. Respect de la forme pour combattre le fond, c’est la fraude à la constitution ». En d’autres termes, dans ce procédé, le pouvoir de révision constitutionnelle utilise ses pouvoirs pour établir un régime d’une inspiration toute différente, tout en respectant la procédure de révision constitutionnelle. Dans sa thèse de doctorat intitulée : La lutte contre la fraude à la constitution en Afrique noire francophone, Séni Ouedraogo, explique quant à lui que « La redistribution illicite des ressources participe de la stratégie de conservation du pouvoir. Ainsi, les courtisans des gouvernants qui désirent toujours conserver les avantages tirés du système sont obligés de s’investir dans l’instrumentalisation des règles afin de conserver le pouvoir. Et comme le respect des règles s’impose, la fraude devient un moyen pour créer une situation juridique à l’effet de servir une fin collective ». Sur les éléments de facilitation de cette fraude, l’auteur souligne qu’elle « est facilitée par la caution des peuples abusés et désabusés ». Selon lui, « la majorité des fraudes pratiquées n’est possible qu’avec la caution des peuples qui ne perçoivent ni les enjeux des débats politiques, ni la portée des actes qu’ils sont appelés à accomplir de sorte que les gouvernants profitent de leur ignorance pour parvenir à leurs fins ». Il poursuit, « c’est la méconnaissance par le peuple des enjeux de la démocratie qui expliquent la tendance des gouvernants à les mettre de plus en plus à contribution, à travers des référendums de révisions savamment contrôlés et organisés, pour certifier leurs forfaitures ».

« des corrections nécessaires à apporter à des textes qui sont apparus à l’usage, imparfaits, incomplets, inadaptés », le prétexte facile

Le prétexte pour justifier les révisions constitutionnelles en Afrique est toujours le même. Le chercheur Gaudusson cité par Ndiaye dans un article intitulé La stabilité constitutionnelle, nouveau défi démocratique du juge africain, souligne « des corrections nécessaires à apporter à des textes qui sont apparus à l’usage, imparfaits, incomplets, inadaptés ». Quant au professeur d’université Albert Bourgi cité par le même auteur, il explique que « même lorsque la tentation est forte chez certains dirigeants de revenir à des pratiques autoritaires et de s’octroyer des attributions plus larges, ils sont le plus souvent contraints de leur conférer un fondement juridique et de leur donner une apparence de conformité à la constitution ». Toujours, selon cet auteur, ces révisions sont le moyen de donner une vitrine de légalité à des pratiques politiques visant à fausser le jeu démocratique. Les aspects qui sont en permanence retouchés, concernent les dispositions liées à la durée et le nombre des mandats présidentiels qui se trouvent au cœur du débat politique dans nombre de pays.

Toutefois, il existe quelques rares exemples de « résistance » des institutions aux manipulations constitutionnelles. Céline Thiriot dans un article intitulé Transitions politiques et changements constitutionnels en Afrique, cite le cas du Sénat nigérian qui a bloqué la tentative du président Obasanjo de concourir pour un 3ème mandat en 2006, celui du parlement du Malawi qui a refusé la tentative du président Molutsi de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels ou encore celui du président zambien Chiluba qui a dû faire marche arrière sur le même sujet.

En Guinée, s’attendre à une telle démarche de la part des institutions (assemblée nationale, cour constitutionnelle) est tout simplement chimérique. Le parti au pouvoir, majoritaire à l’assemblée nationale a sorti une déclaration le 18 mai 2019 où il demande au Président Alpha Condé de « doter le pays d’une loi fondamentale votée par référendum par le peuple souverain ». Au niveau de la Cour constitutionnelle, l’ancien président de l’institution, Kèlèfa Sall, célèbre pour la mise en garde contre toutes velléités révisionnistes prononcée lors de la prestation de serment de Alpha Condé en 2015 a été évincé le 3 octobre 2018 par un décret présidentiel.

Les jeunes, en première ligne des mouvements contestataires

Dans un contexte où les autres institutions de la République sont soumises au diktat de l’exécutif, c’est la société civile qui se mobilise pour contrer les velléités de manipulations et d’instrumentalisation de la constitution. En première ligne de ces mouvements contestataires, les jeunes. Les mouvements Y’en a marre, au Sénégal ; Balai citoyen, au Burkina Faso ; Filimbi et Lucha, en République démocratique du Congo (RDC), ont apporté un souffle nouveau à l’engagement politique des jeunes si on les compare à une classe politique africaine terne dont les éléments sont interchangeables.

Au Sénégal, face à la colère de la rue en 2011 menée par Y’en a marre, Abdoulaye Wade a fini par renoncer à son projet de réforme constitutionnelle. Son fameux « ticket présidentiel », destiné, selon l’opposition, à préparer une succession dynastique, avait suscité une vive contestation. Au Burkina Faso, le Balai citoyen, était en première ligne dans les contestations populaires qui ont mis fin au règne de Blaise Compaoré.

Composé de partis politiques et des associations de la société civile, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), ce mouvement guinéen est essentiellement animé par des jeunes de la société civile qui n’hésitent pas à mettre en garde « contre le recul démocratique et les graves risques encourus par la stabilité et la sécurité en Guinée et dans la sous-région, ainsi que le chaos qui pourrait en résulter ». Dans sa première déclaration, le FNDC « appelle toutes les Guinéennes et tous les Guinéens à la mobilisation en vue d’une farouche opposition au troisième mandat, par une manœuvre de quelques individus véreux qui vivent de la misère de nos compatriotes ».

En Afrique, la nouvelle génération se heurte à la résistance obstinée de ceux qui tiennent encore les commandes, qui ont parfois deux fois leur âge et qui bénéficient du soutien de mouvements politiques au pouvoir depuis des décennies, de forces armées largement dotées, de services de sécurité implacables et de réseaux clientélistes solidement établis qui accaparent une bonne partie des ressources du pays.

L’entêtement d’Alpha Condé de vouloir instrumentaliser la Constitution pour briguer un troisième mandat expose la Guinée aux démons des crises politiques majeures dans une sous-région confrontée à la montée du terrorisme dans un contexte de pauvreté grandissante qui est la cause principale de tous les extrémismes. La Guinée vient de loin avec une histoire douloureuse et glorieuse en même temps. Ne tuez pas la démocratie pour assouvir vos désirs de valorisation égocentrique.

Pour terminer, je réitère l’appel lancé par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l’ACAT France sur la crise prévisible en Guinée : « Pour éviter l’apparition d’un nouveau foyer d’instabilité en Afrique de l’Ouest et le risque d’une propagation dans les pays voisins, notamment en Côte d’Ivoire – qui va également connaître une élection présidentielle potentiellement difficile en 2020 –, il est important que les partenaires de la Guinée sortent de leur silence et déconseillent au président Alpha Condé de se maintenir au pouvoir à travers une nouvelle Constitution qui viole la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’Union africaine (ratifiée en 2011 par la Guinée)… ».

 

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

afriquesociologie.com

@RIFCHEDIALLO


Guinée : remettre la locomotive de la décentralisation en marche

Dans le contexte africain surtout subsaharien, la décentralisation « est perçue [  ] comme une voie par laquelle passeront l’élargissement, l’approfondissement et le raffermissement du processus démocratique, mais également comme le chemin accéléré du développement local[1] ».

Bureau de vote en plein air dans un quartier du port de Conakry. Crédit photo
© RFI/Guillaume Thibault

L’espoir ambitionné par les gouvernements africains est que les collectivités issues de ces reformes peuvent favoriser les initiatives locales en leur offrant un espace géographique et institutionnel de concertation et de dialogue. La participation des populations à la réalisation des politiques de développement dans les domaines qui les touchent est censée assurer leur adhésion à leur mise en œuvre, et du coup, une plus grande implication des populations à la prise de décisions les concernant[2]. Un des objectifs poursuivis par la politique de décentralisation est de rapprocher le processus de décision des citoyens et de favoriser ainsi l’émergence d’une véritable démocratie de proximité.

Comme l’écrivait Tocqueville dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique » publié en 1835 « un pouvoir central, quelque éclairé, quelque savant qu’on l’imagine, ne peut embrasser à lui tout seul tous les détails de la vie d’un grand peuple ». En d’autres termes, La décentralisation laisse aux individus le soin de s’occuper eux-mêmes de leurs affaires et préserve donc leur liberté.

Entre décentralisation et développement local, il y va plus que d’un accommodement entre deux modes de gestion – l’un, redistributif de compétences centrales vers les périphéries de l’État, l’autre, participatif à la base, des forces qui composent une communauté. La population, et donc le citoyen sont au centre du processus de décentralisation. Une démarche décentralisatrice purement juridique et administrative, ne pourrait prétendre produire du développement local. La décentralisation implique un partage du pouvoir, des ressources et des responsabilités[3].                                                    

Des acquis fondamentaux aux ratés institutionnels : les collectivités locales remplacent les pouvoirs révolutionnaires locaux

À l’accession à l’indépendance en 1958, les autorités guinéennes d’alors avaient optées pour un système de planification rigide et fortement centralisé sous un régime de Parti Etat : Le Parti Démocratique de Guinée (PDG). Ce parti politique avait sous son contrôle l’ensemble des structures administratives et politiques du pays à travers ses cellules politiques de base: les Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL). Ce système n’avait pas tardé à montrer ses limites qui découlaient essentiellement de la faible implication des populations dans l’identification et l’exécution des actions de développement.

Après la prise du pouvoir par l’armée en 1984, dans son discours programme du 22 décembre 1985, le nouveau président promettait l’instauration d’une démocratie et d’un État de droit en Guinée. Avec l’appui des bailleurs de fonds notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, le gouvernement s’engageait dans un processus de libéralisation et de décentralisation axé sur la participation des populations au redressement socioéconomique du pays.

En matière de décentralisation, la Guinée devenait ainsi l’un des premiers pays de la sous-région à implanter, sur l’ensemble de son territoire, les formes de la décentralisation, soit aujourd’hui 38 communes urbaines et 304 communes rurales.

Mais c’est dans la méconnaissance des principes mêmes de la décentralisation, dans l’incompréhension des mandats des élus et dans un climat de tension autour du nouveau partage de pouvoir que les collectivités dites décentralisées furent instituées. Les cadres administratifs responsables de la formation et de l’encadrement des élus des collectivités ne disposaient ni des moyens techniques, ni des ressources humaines pour remplir cette mission qui leur était dévolue.

Certes, on reconnaissait dans les textes gouvernementaux cette volonté d’améliorer les conditions de responsabilisation des acteurs à la base pour atteindre les objectifs de développement et le renforcement de la démocratique locale. Dans les faits, l’administration publique n’avait pas forcément la capacité de procéder adéquatement au transfert graduel des compétences. La méfiance des populations à tout processus imposé par le « haut », ainsi que les tergiversations des entités administratives préfectorales et régionales, acceptant difficilement de perdre certains pouvoirs, ont nui à la décentralisation effective.

Un Code des collectivités locales pour préciser la décentralisation

Adopté le 5 mai 2006, le code des collectivités locales est l’instrument juridique qui précise le transfert de 32 compétences aux collectivités locales (Art. 29 du code des collectivités locales) avec des missions spécifiques concernant globalement : l’encadrement de la vie collective, la promotion et le renforcement de l’harmonie des rapports entre les citoyens, la gestion des biens collectifs, la promotion du développement économique, social et culturel de la communauté, et la fourniture aux citoyens de services pour satisfaire leurs besoins et leurs demandes.

Selon la constitution guinéenne, l’organisation territoriale du pays est constituée par les circonscriptions territoriales (préfectures et sous-préfectures) et les collectivités locales (régions, communes urbaines et rurales) (Art. 134 de la constitution). La création, l’organisation et le fonctionnement des circonscriptions territoriales relèvent du domaine réglementaire et quant aux collectivités locales leur création et réorganisation relèvent de la loi (Art. 135). Si les circonscriptions territoriales sont administrées par un représentant de l’État assisté d’un organe délibérant, les collectivités locales quant à elles s’administrent librement par des conseils élus, sous le contrôle d’un délégué de l’État qui a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois (Art. 136).

Dotées de la personnalité morale, d’autorités propres et de ressources, les collectivités locales possèdent un patrimoine, des biens matériels et des ressources financières propres, qu’elles gèrent au moyen de programmes et de budgets ; elles sont sujettes de droits et d’obligations. Elles s’administrent librement par des Conseils élus qui règlent en leur nom, par les décisions issues de leurs délibérations, les affaires de la compétence de la collectivité locale. Elles concourent avec l’État à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, ainsi qu’à la protection de l’environnement et à l’amélioration du cadre de vie (Art. 2 du code des collectivités locales).

Dans la Constitution du 19 avril 2010, il est prévu la mise en place d’un Haut conseil des collectivités locales, organe supérieur consultatif, a pour mission de suivre l’évolution de la mise en œuvre de la politique de décentralisation, d’étudier et de donner un avis motivé sur toute politique de développement économique local durable et sur les perspectives régionales (Art. 138).

L’organisation des élections locales : la longue marche vers les bureaux de vote

Maintes fois reportées, les dernières élections communales ont eu lieu en 2005 sous le règne du président Lansana Conté. Cette situation est la résultante d’un contexte politique marqué par une instabilité politique (disparition en décembre 2008 du président Lansana Conté, début d’une transition militaire avec le capitaine Moussa Dadis Camara puis le général Sékouba Konaté).

Élu en 2010, le président Alpha Condé procédera en 2011 au remplacement des élus locaux dont le mandat avait expiré depuis 2010, par des délégations spéciales. Selon l’opposition, les collectivités locales sont désormais dirigées par des personnes nommées par l’exécutif et non élues par les populations. Une décision qui sera dénoncée par l’opposition à travers des manifestions de rues, de séries de revendications et de dialogues. Le 17 août 2015, après une rencontre entre le leader de l’UFR Sidya Touré et le président Alpha Condé, ce dernier accepte le principe de recomposition des conseils communaux au prorata des résultats obtenus par chaque parti politique lors des législatives de 2013, pour remplacer les 28 délégations spéciales installées en 2011 et les autres élus locaux dont les mandats avaient expiré en 2010. Au total, 128 communes sur 342, dont 38 rurales et 90 urbaines, seront recomposées.

Comme les violations des lois électorales et les contestations de l’opposition se suivent et se ressemblent en Guinée depuis plusieurs années, le nouveau code électoral promulgué le 27 juillet 2017 par Alpha Condé, fruit de l’accord politique du 12 octobre 2016 signé entre la mouvance et une partie de l’opposition n’échappera pas à cette logique de rapport de forces.

Cet accord prévoit que le conseil de quartier ou district soit désigné au prorata des résultats obtenus par les listes de candidatures à l’élection communale. L’argument avancé est la complexité que représente l’organisation des élections dans les 3 763 quartiers et districts du pays. Dans son arrêt 023 du 15 juin 2017, la Cour constitutionnelle avait relevé l’inconstitutionnalité de plusieurs dispositions du nouveau code électoral. Toutefois le réexamen du code électoral a été soumis à l’Assemblée nationale non pas en séance plénière mais au niveau de la commission des lois. Ce qui constitue une autre entorse à la procédure parlementaire.

Douze ans après les dernières élections locales de 2005, la commission électorale nationale indépendante (CENI) a fixé la date de ces élections au 4 février 2018, une date approuvée par toutes les parties en compétition. Malgré les quelques difficultés signalées lors du dépôt des candidatures ou encore de la distribution des cartes d’électeurs, la CENI maintient son chronogramme et rassure les acteurs de la tenue effective de ces élections à la date indiquée.

Mobilisation politique, manque de moyens et influence négative de la tutelle rapprochée : des collectivités locales affaiblies

La finalité de la mise en œuvre d’un processus de décentralisation est de réussir le développement socio-économique dans des domaines qui souffrent trop souvent de l’inefficacité des administrations publiques et d’un pouvoir décisionnel trop centralisé.

En Guinée, le clientélisme politique a fini par transformer les collectivités locales en bastions politiques au service de la mobilisation partisane. Cette politisation à outrance dans la gestion des collectivités locales est préjudiciable à la mobilisation de la dynamique locale.

Dans un rapport publié en 2012 intitulé « Débats locaux sur le processus de décentralisation » publié conjointement par le ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, le conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSC-G) et l’association nationale des communes de Guinée (ANCG) il ressort des disfonctionnements importants dans la gestion des collectivités locales. On peut lire dans ce rapport que les élus locaux, dans leur grande majorité considèrent que la décentralisation a été un transfert de compétences qui n’a pas été suivi de transfert de moyens leur permettant d’exercer les compétences qui leur sont transférées. Une réalité qui contraste avec les mesures annoncées dans la lettre de politique nationale de décentralisation et de développement local où on peut lire : « La décentralisation ne prendra corps, que si les transferts prévus dans le code des collectivités sont opérationnalisés, que les collectivités disposent des moyens de les assurer ».

Les élus locaux se plaignent du manque de subventions de l’État et de la faiblesse des ressources mobilisables au niveau local. C’est ce qui, selon eux, explique le faible taux d’exécution de leurs plans de développement local (PDL).

Ils dénoncent aussi leur marginalisation, par la tutelle, dans la mobilisation et la répartition des recettes locales. Selon leurs dires, ils ignorent généralement l’étendue de l’assiette fiscale sur la base de laquelle ils perçoivent leur part de ressources partagées.

Ils soutiennent que les collectivités locales sont également victimes d’abus d’autorité de la part de la tutelle rapprochée. Dans la plupart des cas, les élus locaux sont inféodés à la tutelle rapprochée de crainte de sanctions. Pour illustrer cet état de fait, un élu d’une commune urbaine affirme : « On n’ose pas refuser de donner de l’argent à un Préfet ; on est obligé de laisser une bonne partie de la taxe superficiaire à la préfecture ; les maigres ressources sont souvent utilisées pour la prise en charge de missions et de délégations qui viennent à tout moment et on n’ose pas présenter une facture ; il y a des secrets profonds que je ne peux pas dénoncer ». Il continue « Je dis, en parlant de la pression financière exercée par l’administration territoriale sur les maigres ressources des collectivités, que : au lieu que l’enfant tète la mère, c’est plutôt la mère qui tète l’enfant ». Un autre élu soutient en ces termes : « Lorsque l’autorité au sommet vient affamée, la base est obligée de subir ».

Pour maintenir de bons rapports avec leurs tutelles, les collectivités locales acceptent d’être soumises à des dépenses extrabudgétaires. Dans la plupart des localités, les dépenses effectuées par les sous-préfets, préfets et gouverneurs sont effectuées à partir des cotisations imposées aux collectivités locales. C’est par exemple le cas lorsqu’il s’agit d’organiser des festivités ou de recevoir des hôtes de marque.

Concernant le déficit d’autorité dont souffrent les collectivités locales, les interrogés soulignent que l’absence de critères de choix basés sur la compétence des élus a permis à des élus locaux âgées et pour la plupart analphabètes d’être à la tête de bon nombre de collectivités locales. À cause de cet état de fait, les multiples formations dont ont bénéficié les collectivités locales ont eu très peu d’impact sur la capacité des élus locaux. Dans ce contexte, le code des collectivités locales qui est peu diffusé est faiblement maitrisé par les élus.

Décentralisation en Guinée, une expérience inachevée mais peut mieux faire

Face à l’optimisme de Alhassane Condé, ancien ministre et auteur de l’ouvrage « la décentralisation en Guinée, une expérience réussie » publié en 2003, nous pensons que la décentralisation en Guinée est une expérience inachevée. Le code des collectivités locales qui l’instrument juridique de mise en œuvre de la décentralisation souffre du manque de textes d’application pouvant faciliter son appropriation par les élus locaux. Du coup, sa maîtrise par les acteurs locaux est insuffisante. Un autre facteur est le taux élevé d’élus analphabètes au sein des conseils locaux et l’âge relativement élevé de ces élus qui expliquerait aussi cette faible connaissance du contenu des textes réglementaires de la décentralisation.

Malgré les nombreux programmes de renforcement de capacité des collectivités locales, les résultats obtenus sont en deçà des attentes exprimées. Cette réalité est d’ailleurs reconnue dans la lettre de politique nationale de décentralisation et de développement local où des recommandations sont formulées en ces termes : « Le renforcement de capacité n’est pas la somme de programmes de formation et d’équipements. Renforcer les capacités implique de prendre en compte trois niveaux interdépendants : le niveau individuel qui concerne les compétences des individus, le niveau organisationnel qui concerne la performance des organisations et le niveau systémique qui touche à la gouvernance (institutions et normes) ».

Un autre axe qui soutient ce constat d’expérience inachevée de la décentralisation en Guinée concerne le transfert de moyens permettant aux collectivités locales d’exercer les compétences qui leur sont transférées. Selon le rapport de 2012 du ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, le conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSC-G) et l’association nationale des communes de Guinée (ANCG), les dotations et subventions de l’État sont quasi-inexistantes aussi bien pour les collectivités locales que pour la tutelle chargée de veiller à leur bon fonctionnement. Les ressources financières mobilisées ou mises à la disposition des collectivités locales sont partout insuffisantes.

Au lendemain des élections locales du 4 février 2018 et la récurrente tradition de contestations des résultats électoraux en Guinée, nous formulons le vœu qui est aussi un défi lancé aux acteurs nationaux de la décentralisation d’œuvrer pour un nouveau départ de la locomotive de la décentralisation avec à son bord le développement local.

 

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

Fondateur/Administrateur

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www.guineepolitique.com

[1]Ousmane Syll, ‘’Les échanges entre collectivités décentralisées d’Afrique subsaharienne et de l’union européenne : une réussite si la condition de la réciprocité est respectée’’, Besançon (France), Mémoire de Master, Octobre 2005.

[2] Guèye, C. et MBaye, A., ‘’Décentralisation, développement local et droits humains au Sénégal’’, Genève, Review Seminar, 27-28 juin 2004.

[3] Jean-Christophe Deberre, « Décentralisation et développement local », Afrique contemporaine 2007/1 (n° 221), p. 45-54.


Guinée : l’impossible réforme des forces de sécurité et de défense

Tuer ou se faire tuer relève de la banalité quotidienne en Guinée. Héritée du purgatoire sékoutouréen (1958-1984), entretenue par l’anarchisme militaro-civil au temps de Lansana Conté (1984-2008), amplifiée pendant la parenthèse comique mais surtout tragique de Moussa Dadis Camara (2008-2009) et aujourd’hui téléguidée par des unités de police et de la gendarmerie à la solde d’un pouvoir civilo-répressif d’Alpha Condé (2010 à nos jours), la tradition d’une violence d’Etat en Guinée est un fait politique constant et une problématique récurrente.

Le Président de la République, le professeur Alpha Condé saluant un officier de l'armée. Crédits photos; gn.undp.org
Le Président de la République, le professeur Alpha Condé saluant un officier de l’armée. Crédits photos; gn.undp.org

« Vous ne voulez pas des militaires, on va vous donner une leçon » c’est ce qu’on pouvait lire dans un rapport d’Amnesty international publié en 2010 où une victime rapportait les propos d’un membre des forces de sécurité présent à la répression du 28 septembre 2009 où plus de 150 personnes ont été tuées et des centaines de femmes violées.

En rappelant un tel propos de cet épisode douloureux dans cet article, les esprits réducteurs, amnésiques et politiquement alignés de Conakry s’empresseront de rétorquer « Mais le professeur Alpha Condé a réussi à réformer cette armée. » Donc l’illustration serait désuète ?

Effectivement, la grande illusion entretenue par le pouvoir de Conakry consiste à réduire la réforme des forces de sécurité et de défense à deux évènements bruyants médiatiquement mais forts discutables parce qu’insignifiants d’un point de vue holistique de la réforme : 1) une armée qui serait moins visible dans les rues comme se vanteraient les argumentateurs de l’Etat et, 2) la mise à la retraite de plus de 4000 militaires. Des mesures correctes certes, mais incomplètes sans la mise en marche concomitamment d’autres instruments dissuasifs notamment les poursuites judiciaires des auteurs de violences au sein de l’appareil sécuritaire dans son entièreté. L’efficacité de toute réforme dans le contexte guinéen implique la nécessité de rompre la chaîne de la violence par la justice. Le cas contraire, elle se résumerait à une simple opération d’endormissement à courts termes des démons de la violence qui ont toujours hanté l’appareil sécuritaire du pays.

Si la mise à la retraite de plus de 4000 militaires a été qualifiée de réforme majeure voire « audacieuse » par certains, force est de reconnaître qu’elle l’est d’un point de vue budgétaire, comme le soulignait substantiellement dans une interview l’ancien ministre de la défense Abdoul Kabélè Camara : « Depuis 1958 des militaires étaient enrôlés dans les forces armées et continuaient encore à émarger jusqu’en 2011. Nous avons pu déceler tous ces cas et avec l’aide des Nations unies, nous avons pu accompagner en douceur 3929 militaires. »

Dans une interview sur RFI, Alpha Condé, célèbre pour ses approximations informatives digne d’un profane, partage cette lecture d’ordre budgétaire de la réforme : « Il s’agit de corriger les dysfonctionnements afin qu’à partir de maintenant … on paye les effectifs réels et qu’on ne paye pas les salaires fictifs. »

Dans un contexte où le gouvernement avait de la peine à mobiliser les ressources financières nécessaires à cette réforme, dont le coût était estimé à près de 30 millions d’euros et que les partenaires internationaux privilégiaient l’appui matériel et technique au grand désespoir des autorités qui s’attendaient vraisemblablement à une injection budgétaire, une telle opération de chasse aux « fictifs » se justifiait. Considérée comme un des gouffres budgétaires les plus importants du pays et où la corruption relève d’une normalité administrative très appréciée, l’institution militaire traine les mêmes tares de la mal gouvernance globale.

Des forces de police patrouillent près du marché de Conakry le 9 octobre 2015 afp.com/CELLOU BINANI
Des forces de police patrouillent près du marché de Conakry le 9 octobre 2015
afp.com/CELLOU BINANI

Cependant, la réalité nous apprend que cette mise à la retraite de militaires n’a nullement contribué à débarrasser les forces de sécurité et de défense des brebis galeuses qui continuent de plus belle leurs razzias comme en territoires conquis, avec la même arrogance de se croire « citoyens supérieurs. »

A la lecture des motivations premières de la partie gouvernementale sur cette réforme, notamment la récupération du manque à gagner budgétaire et l’éloignement territorial des militaires qui jouaient au « Zoro » dans la capitale par crainte d’une résurgence de la tradition de coup d’Etat que le pays a connu, on reste cependant outré le fait que les questions des droits de l’homme, de la justice en général et des réparations soient reléguées au second plan. Dans le contexte d’un Etat impuissant ayant une tradition de coup d’Etat et de complots, face à une armée affairiste et profondément politique, le chantage est un instrument de rappel à la vulnérabilité des institutions. Et la petite bourgeoisie militaire qui change en fonction de la couleur du régime veille au grain pour perpétuer l’impunité au sein de la forteresse et s’enrichir sur le dos du contribuable guinéen. Une attitude qui fait penser à une sorte de pacte de non-déstabilisation en contrepartie d’une immunité garantie et d’un traitement de faveur.

Le président guinéen, Alpha Condé, entouré de la Garde présidentielle, Conakry, décembre 2010. © REUTERS/Joe Penney
Le président guinéen, Alpha Condé, entouré de la Garde présidentielle, Conakry, décembre 2010. © REUTERS/Joe Penney

Certes, la psychose de coup d’Etat tourne en boucle dans les esprits des gouvernants. Cependant, soulignons un fait qui semble faire cas d’école en Afrique. L’échec dans la gestion des coups d’Etats enregistrés ces dernières années en Afrique (Guinée avec son Dadis national, Mali avec son Sanogo, Burkina Faso avec son Diendéré) par les putschistes eux-mêmes semble être un adoucisseur des velléités aventureuses de nos chers putschistes. Aujourd’hui, les populations africaines sont conscientes que tout coup d’Etat est un recul démocratique car le seul terrain de combat légitime reste les urnes malgré ses multiples fraudes qu’il faudra combattre aussi.

C’est dans ce contexte de dérives, de manques, de violations, de dépendance et avec les mêmes interlocuteurs nationaux, parce qu’éternels demandeurs d’aides de tout genre avec des relents paternalistes évidents que le Sénat français a adopté le 7 juillet 2016 un projet de loi « autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. » Cet accord, selon le rapport soumis à la commission pour examen par Jeanny Lorgeoux, est le prolongement de celui signé en 1985 qui n’est « jamais entré en vigueur, faute de ratification par la partie guinéenne. »

Jeanny Lorgeoux qui est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat, une commission présidée par Jean Pierre Raffarin aborde certains aspects de cet accord en présentant des éléments de contexte plutôt intéressants.

Sur la présidentialisation du régime de Alpha Condé

« Avec la réélection du président Alpha Condé pour un second et dernier mandat en novembre 2015, le pays semble relativement stabilisé, même si l’on assiste depuis quelques semaines à une présidentialisation du régime et si les élections communales prévues au 1er semestre 2016 ont été reportées au mois d’octobre 2016 »

Sur le sureffectif d’officiers

« La politique nationale de défense et de sécurité de la Guinée a été validée fin 2013 et une loi de programmation militaire pour 2015-2020 a été adoptée en 2014 – son financement risque cependant d’être difficile. L’armée guinéenne composée d’environ 20 000 hommes fait en particulier face à un problème de sureffectif d’officiers »

Sur le caractère « soviétique » de l’armée guinéenne

« L’objectif global est d’atteindre un effectif de 15 000 hommes en 2020. L’équipement et la formation en sont les autres points faibles. L’armée guinéenne conserve par certains aspects un caractère « soviétique », avec un fonctionnement centralisé à l’extrême et des postes de surveillance répartis sur tout le territoire. À cela, il faut ajouter une gestion des ressources humaines inexistante et une chaîne de commandement très faible »

Sur un accord « nouvelle génération »

« Il s’agit d’un accord très similaire aux accords de défense « nouvelle génération » passés depuis 2008 avec d’autres pays africains, comme les Comores, la Centrafrique, le Togo, le Gabon, le Cameroun, le Sénégal, Djibouti et la Côte d’Ivoire. Il ne comporte pas en revanche d’annexe décrivant les facilités opérationnelles accordées aux forces stationnées sur le territoire de l’autre Partie car la France n’a pas de forces stationnées ou de bases permanentes en Guinée. »

Une lecture extérieure est toujours édifiante sur les réalités de nos Etats. Sachant que les dirigeants africains ne se confessent qu’à une oreille extraterritoriale, il est parfois intéressant d’en accorder une certaine importance sans pourtant tomber dans la naïveté des querelles d’intérêts et des positionnements stratégiques qui motivent les acteurs nationaux ou internationaux.

A la lecture de ce rapport, on s’aperçoit aisément que sur l’effectif de l’armée guinéenne, un flou artistique caractérise les statistiques réelles. Ce qui nous pousse à la conclusion que l’effectif réel est méconnu. « 35 000 ? 45 000 ? Personne ne le sait, pas même les membres du cabinet présidentiel. » L’effectif de l’armée guinéenne est une équation à plusieurs inconnues. Et si la réforme commençait par le recensement ? Oui ! En octobre 2011 débutait à Conakry une telle opération. Les résultats ? Des « fictifs » retrouvés comme d’ailleurs, le présageaient nos confrères du site guineeconakry.info dans un article sur la question : « la grande muette, à l’image de la fonction publique recèle de nombreux fictifs ou d’hommes n’étant plus de ce monde, mais dont la disparition n’a jamais été signalée et prise en compte dans les dépenses militaires. »

Réformer par la formation ? Avec quelles thématiques ? Sachant que le militaire ou tout autre agent de sécurité guinéen adore davantage les films de guerre où il se projette en personnage de « Rambo » qu’un citoyen normal investi d’une mission de protection, la tâche sera rude de séparer le bon grain de l’ivraie. En Guinée, pour beaucoup de personnes, le choix d’intégrer les forces de sécurité a été une option par défaut quand elles ont raté d’autres choix.

Réformer par la restructuration ? Dans un pays où la restructuration est confondue à une réaffectation de personnel dirigeant, il va falloir de la pédagogie pour convaincre les autorités qu’une structure peut être pérenne et le personnel changeant sans que cela n’entame les bien-fondés de son existence.

Réformer par la radiation ? Pourquoi craindre la radiation de militaires ou d’agents de sécurité des effectifs officiels ? Chaque corps de l’armée, de la police et de la gendarmerie dispose de règlements intérieurs qui statuent sur les dispositions de radiation. Les lois de la République aussi ! Au sein des forces de sécurité et de défense le contraste est saisissant entre un officier qui est très bien formé et le délinquant de quartier devenu par la force des choses, agent de sécurité, j’allais dire d’insécurité.

Réformer par le démantèlement et la suppression de certaines unités ? Réputées dans la répression violente d’une simple manifestation démocratique, des unités de la police, de la gendarmerie et de l’armée ont bâtie leur macabre réputation dans la conscience collective des guinéens. Elles s’appellent CMIS (compagnie mobile d’intervention et de sécurité), BAC (Brigade anti-criminalité), BATA (Bataillon autonome des troupes aéroportées) et tant d’autres. De par leur mauvaise réputation, la suppression ou la redéfinition de leurs missions est un impératif d’une réforme plus efficace.

Dans le contexte guinéen, se démarquer des injonctions des pouvoirs publics et assumer sa mission première, les forces de sécurité et de défense restent toutefois un boulet que trainent les autorités quand elles s’illustrent dans des massacres ou menacent la stabilité du régime et une marionnette quand elles contribuent à mater toutes formes de résistances internes pour garantir la survie des régimes dictatoriaux.

Dans l’attente de voir un jour les forces de sécurité et de défense guinéennes dans une dynamique républicaine et respectueuses des libertés fondamentales, les populations continueront à subir les traditionnelles exactions et violations des droits de l’Homme.

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

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Guinée : Alpha Condé et sa diversion terroriste à visée électoraliste

Quel groupe terroriste menace la Guinée ? Boko Haram ? Aqmi ? l’Etat islamique ? Seul Alpha Condé dans son imaginaire complotite détiendrait la réponse.

Alpha Condé Crédits photo AFP-KENZO TRIBOUILLARD monde.fr
Alpha Condé
Crédits photo AFP-KENZO TRIBOUILLARD monde.fr

Quand il s’agit des menaces réelles (Ebola par exemple), le gouvernement avait privilégié dans un premier temps l’option de la négation. Aujourd’hui, la célérité et la persistance avec lesquelles le gouvernement s’active dans cette entreprise dénotent une volonté manipulatrice d’un régime impopulaire et foncièrement rétrograde. Attiser les peurs afin de détourner le débat politique semble être la seule recette dont dispose aujourd’hui Alpha Condé.

La seule menace actuelle et réelle est sans doute cette gouvernance de rumeurs et d’instrumentalisation dangereuse du fait ethnique ou religieux. Le 23 avril 2015, Peter Pham, directeur du Centre de l’Afrique du groupe de réflexion « l’Atlantic Council » dressait dans un article un tableau sombre de la gouvernance politique de Alpha Condé qui selon l’auteur, est prêt à user de toutes les « machinations » inimaginables pour se maintenir au pouvoir par le biais d’élections truquées. « Incapable de faire campagne avec son faible bilan, Alpha Condé, en poste depuis une élection contestée en 2010, utilise toutes les machinations pour rester au pouvoir » écrivait-il. Aujourd’hui, cette analyse se précise et sa pertinence se matérialise par les récentes déclarations de Alpha Condé sur cette prétendue menace terroriste qui viserait la Guinée.

Ne vous faites pas d’illusion, Alpha Condé n’est pas dans l’improvisation quand il s’agit de manœuvres politiciennes pour surcharger l’actualité. Qui se souvient de l’ordre du jour établi par la présidence lors de sa rencontre avec Cellou Dalein Diallo le 20 mai 2015 au palais Sekhoutoureya ? Je vous cite le communiqué du bureau de presse de la présidence : « La rencontre d’aujourd’hui (   ) a porté sur trois sujets : les échéances électorales, la lutte contre le développement du fondamentalisme religieux en Guinée et la recherche de solutions de paix au Mali ».

Semer les premières graines de la diversion

Le développement du fondamentalisme religieux en Guinée ? Quelle est l’opportunité de l’inscription d’un tel sujet sur l’agenda politique ? Ce détail est très évocateur de la genèse d’un projet en phase d’expérimentation. Il lui fallait une tribune officielle pour le formaliser et semer les premières graines de la diversion. Le contexte malien aidant et dans une large mesure le contexte africain est propice à cette ‘’construction’’ d’une problématique terroriste globale. Au-delà de son caractère tentaculaire, le terrorisme en Afrique est très souvent lié à l’histoire spécifique de chaque pays. En Guinée, la tolérance religieuse est un fait. Les communautés religieuses ont toujours vécu en bonne intelligence sans aucune hostilité.

Ne pas rajouter une dimension religieuse à la crise guinéenne, j’espère que les promoteurs de cette entreprise malsaine n’inventeront pas un Boko Haram local pour justifier une quelconque menace. Les jusqu’au-boutistes du régime doivent se ressaisir et remettre de l’ordre dans leurs esprits tordus. La survie de la nation en dépend.

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

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Guinée : l’opposition dans une guéguerre inutile

« Moi contre mon frère, mon frère et moi contre mon cousin, mon frère, mon cousin et moi contre l’étranger ». Cette maxime est évocatrice des rapports de ‘’groupabilité’’, d’appartenance ou encore d’alliance politique. Vous verrez plus loin que ce type de rapport (positif et négatif) est d’une ambivalence sournoise.

Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré lors de la campagne électorale pour le second tour de la présidentielle de 2010.
Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré lors de la campagne électorale pour le second tour de la présidentielle de 2010.

Aujourd’hui, deux formations de l’opposition guinéenne se donnent en spectacle. Leurs lieutenants par médias interposés attisent les haines dans une dynamique d’abrutissement généralisé. Ils tiennent tous leur célébrité des idioties qu’ils propagent tous les jours.

Dans le souci de dépersonnaliser le débat politique où des passions se déchainent et obscurcirent le raisonnement, je ferai un effort de ne mentionner que les noms des formations politiques en question. Il s’agit de l’UFDG (union des forces démocratiques de Guinée) et l’UFR (union des forces républicaines).

Quand des forces prétendument ‘’démocratiques’’ et ‘’républicaines’’ exposent leurs faiblesses stratégiques

Rappel : au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010, l’UFR arrive en troisième position derrière le RPG (rassemblement du peuple de Guinée, l’actuelle formation au pouvoir) et l’UFDG. L’UFR accepte alors de s’allier à cette dernière en donnant des consignes de vote à ses militants. Inutile de rappeler que l’objectif visé était la conquête et le partage du pouvoir. Inutile aussi de rappeler que ce scénario planifié ne prenait pas en compte des cartes que détenait le vieux routier de la politique guinéenne qui avait les faveurs des ‘’petits dieux’’ qui gouvernaient à l’époque. Bref, l’alliance circonstancielle va muter en alliance conjoncturelle face aux nouveaux défis lancés par les maîtres de Conakry. Autrement dit, on reste ensemble parce que l’on s’est retrouvé de l’autre côté de la grille. C’est avant tout l’expression d’une conscience de survie rationnellement évalué. Entre 2010 et 2015, de l’eau est passée sous le pont. D’ailleurs, il serait illusoire de croire à des alliances naturelles. Elles sont avant tout délimitées dans le temps en fonction des enjeux et objectifs qui motivent leurs signataires.

Dans une approche compréhensive, faisons cet effort pédagogique afin d’élucider la notion d’alliance politique. Aujourd’hui la confusion est totale chez les militants de ces deux formations politiques. Mais ma consternation est encore plus grande quand j’écoute les lieutenants ‘’mauvais communicants’’ et foncièrement ‘’médiocres’’ des leaders des formations politiques en question. Quand des simples crieurs publics s’improvisent communicants politiques, il faudrait s’attendre à une foire aux banalités ou un cirque d’idioties.

Sur la foi de lectures scientifiques, les travaux d’un auteur sur les questions d’alliances politiques ont conforté ma position et serviront de tremplin pour asseoir mon argumentation. Il s’agit de Vincent Lemieux[1]. A son avis, « Il y a alliance quand des acteurs qui ont des rapports positifs entre eux ou qui, tout au moins, n’ont pas de rapports négatifs, cherchent à maintenir ou à améliorer leur position par rapport à des acteurs cibles, qui sont des rivaux… . Une alliance peut-être négociée ou tacite, et elle peut être durable ou temporaire ».

Comme mentionné précédemment c’est une alliance de raison et non de cœur. Les acteurs politiques guinéens et leurs militants doivent intérioriser cette dynamique de partenaires politiques et éviter de toujours ramener le débat au niveau des personnes.

Quand l’environnement fausse l’approche politique

La politique étant différente de l’arithmétique, en 2010, l’UFDG s’illusionnait dans un calcul élémentaire (39,7+15,6 = 55,3)[2], ce qui dénote d’ailleurs sa naïveté politique à l’époque. Cette formation avait besoin de l’UFR. Du coup, elle avait du mal à s’intéresser aux petites formations politiques qui totalisaient à peine 1% de l’électorat à l’issue des résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2010. Aux dires de ses membres, l’UFR suffisait pour remporter l’élection au deuxième tour. Erreur de ‘’Gawa’’[3] (excusez ma vulgarité circonstancielle). Une lecture biaisée du jeu politique qui profitera au RPG qui d’ailleurs, adoptera l’approche inverse en ratissant large sans se soucier du poids électoral des alliés mais donner l’impression d’une représentation ‘’nationale’’. Et l’approche était juste parce qu’elle collait parfaitement à la sociologie politique du pays où le dosage ethno-stratégique apparaît comme une ‘’règle’’ tacite parce que héritée d’une logique d’instrumentalisation des ethnies à des fins politiques. Aussi, la lecture extérieure sur la Guinée qui est le plus souvent réductrice, fait apparaître un bicéphalisme politico-ethnique. L’UFDG n’avait pas saisi cette réalité. Comme le rappelle Lemieux « Il est important pour l’alliance victorieuse de donner l’impression qu’elle a un large appui des autres acteurs qui jouent des rôles sur la scène politique ». Loin d’avoir des ambitions hégémoniques ‘’communautaires’’ comme le reprochent certains, l’UFDG a cependant du mal à se débarrasser des nombreux préjugés historiquement fabriqués et entretenus pour diviser. Dans un environnement où les croyances populaires teintées d’appréhensions sur telles ou telles ethnies sont plus vivaces que les vérités historiques, la tâche d’anéantissement de ces croyances fabriquées semble gigantesque. Surtout si les commis à cette tâche excellent le plus souvent dans la propagation des âneries de toutes sortes.

A l’opposé des extrêmes ethniquement identifiables, l’UFR se targue d’être une formation à la représentation large. Même si aucune statistique ne le confirme. Inutile ! Car en Guinée, nous avons des données statistiques toutes faites qui ne relèvent d’aucune étude scientifique mais simplement concoctée par des pseudos ‘’connaisseurs’’ influenceurs d’analphabètes devant une tasse de café ou une bière. Bref, c’est juste pour illustrer les instances d’abrutissement collectives quand on s’intéresse à la politique en Guinée.

A ses débuts, l’UFR était avant tout une formation qui puisait son électorat en milieu urbain, donc cosmopolite et chez une catégorie socioprofessionnelle de fonctionnaires et cadres moyens. Auréolé de son passage jugé ‘’remarquable’’ à la primature guinéenne, son leader a bénéficié d’un crédit confiance auprès de ceux qui avaient la capacité de lecture d’une action gouvernementale et ceux qui s’impressionnent facilement face à la nouveauté et aux mirages du quotidien. Cependant, avec l’évolution de la dynamique politique dans le pays où les assises électorales sont géographiquement compartimentées, l’UFR n’échappera pas à cette tendance vicieuse de courtisanerie communautaire. Dans le contexte guinéen, est-ce faire preuve de réalisme politique ou d’inconstance idéologique ? Je ne saurais vous répondre. Seuls les politiciens savent les motivations qui sous-tendent leurs positionnements ou actions. Il faut cependant déplorer les incessantes mutations observées çà et là dans les démarches et approches politiques, afin, soutiennent-ils, de s’adapter à un environnement politique qui est assez malsain.

Quand tous prétendent faire de la politique à l’aveuglette

Dans une alliance ou toute forme d’association, les rapports de pouvoir sont inhérents. Du coup, la motivation première de chaque acteur politique est d’occuper une position avantageuse. L’UFR comme l’UFDG cherche avant tout à accéder au pouvoir. Songer à une relation de vassalité est foncièrement prétentieuse. Rien n’est acquis avant le verdict des urnes. L’assurance aveugle dans un environnement ambiant et profondément instable où quelques personnes tapis dans l’ombre ont ce pouvoir de faire basculer une élection relève de la naïveté politique. Il est impératif d’avoir des alliés à plusieurs niveaux. Il faudra apprendre à dépersonnaliser et dépassionner le débat politique. Même au sein de l’appareil d’état actuel, la récupération de certains frustrés de la gouvernance relève du pragmatisme politique. Mais il faudrait les rassurer pour qu’ils mettent en jeu leurs positions et privilèges au profit d’une promesse. Tous cherchent une existence meilleure, une visibilité, une reconnaissance, un environnement pour s’épanouir. Qu’est-ce qui empêcherait à un leader politique d’entamer un processus de rapprochement avec le président de la CENI par exemple ? Sachant pertinemment qu’il fait partie du puzzle de la fraude électorale. Ces personnes ont peur de perdre leurs privilèges et sont prêtes à toutes les bassesses pour se maintenir. La démarche politique est graduelle et l’exclusion est improductive. Loin de moi l’idée de faire l’apologie du principe : la fin justifie les moyens ; mais il faut privilégier une approche inclusive dans la conquête et l’exercice du pouvoir.

Quand un rapport négatif devient ambivalent pour redevenir négatif

Pour finir, revenons sur cette maxime qui illustre bien cette ambivalence relationnelle qui caractérise très souvent les alliances politiques « Moi contre mon frère, mon frère et moi contre mon cousin, mon frère, mon cousin et moi contre l’étranger ». Vincent Lemieux apporte une explication qui conforte ma compréhension de la guéguerre encore inutile entre l’UFDG et l’UFR. A son avis, « L’alliance avec le frère, puis avec le frère et le cousin, n’efface pas tout à fait l’hostilité préalable. Elle la tempère plutôt d’une affinité qui transforme un rapport négatif en un rapport ambivalent, toujours susceptible de redevenir plus négatif que positif quand la menace de l’ennemi commun s’estompe. »

 

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

https://www.afriquesociologie.com/

[1] Vincent Lemieux, ‘’le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique’’, Presses Université Laval, 2006, 192 pages.

[2] Au premier tour de l’élection présidentielle de 2010, l’UFDG totalisait 39,7% et l’UFR 15,6%.

[3] Idiots


Une autre Guinée serait-elle possible ?

Le 29 octobre 2012 j’écrivais ceci dans le journal satirique « Lynx/Lance »: Une autre Guinée serait-elle possible ? In extenso. Je le republie sans rien modifier pour évaluer la constance de la crise guinéenne et surtout l’éternel recommencement avec les mêmes acteurs qui nous pourrissent la vie. En premier lieu Alpha Condé.

Alpha Condé Président de la Guinée
Alpha Condé Président de la Guinée

Quel est le véritable défi aujourd’hui ? Continuer à proposer les mêmes recettes et espérer obtenir des résultats différents ? Continuer dans cette spirale ‘’mi-guerre’’/‘’mi-paix’’ avec un décompte macabre qui se banalise ? A qui profite cette entreprise funeste ? Sommes-nous face à une hypocrisie collective entretenue par une poignée d’élites guinéennes ? Qui a raison et qui a tort ?

D’ailleurs pourquoi un tel questionnement ? Serais-je entrain de donner de leçons à X ou Y ? Bien sûr que non ! Des millions de guinéens se posent les mêmes questions et espèrent trouver des réponses. Ma démarche, dans un premier temps, est de dénoncer des tares observées dans une société guinéenne extrêmement politisée en ciblant les différents acteurs à tous les niveaux (pouvoir, opposition, institutions républicaines, société civile, administration et les populations guinéennes). Dans un second temps, j’exprimerai ma forte conviction, qu’une autre Guinée est bien possible à condition qu’une véritable rupture soit opérée.

I- De l’aveuglement égocentrique des acteurs politiques

Ceux du pouvoir

Malgré un débat fortement ethnicisé pendant la présidentielle passée, Alpha Condé, aujourd’hui Président, se démarquait un tout petit peu des autres ‘’grands’’ leaders politiques guinéens du moment. Cette particularité est la « présomption d’innocence » que lui accordait le peuple de Guinée. Permettez-moi d’emprunter cette expression juridique pour illustrer ma pensée. Pourquoi « présomption d’innocence » ? Pour le guinéen lambda, c’est Alpha Condé l’opposant qui était connu. Par contre, on a connu Dalein, Sidya et Kouyaté comme premier ministre. A tort ou à raison, les guinéens émettent tous les jours des jugements parfois subjectifs sur la gestion des gouvernements précédents. Bref, ce qui est évident, ces trois ex PM sont connus et évalués différemment par les guinéens. Mais comme le peuple de Guinée attend toujours le bonheur qu’on lui a injustement refusé, alors, par concours de circonstances et ‘’slalom politicien’’ aidant, le peuple s’est dit « Pourquoi pas ? Essayons le nouveau ! ». Mais comme disent les ivoiriens « Tout nouveau n’est pas toujours beau ».

Alors, qu’est-ce qu’on rapprocherait au Président Alpha Condé ?

Le choix de ses collaborateurs : aux lendemains d’une élection présidentielle très tourmentée, la Guinée avait besoin de rassemblement. Pour cela, il fallait montrer des signes de rupture et de renouveau. Pourquoi une rupture ? Parce que tout simplement, les guinéens en avaient assez de cette gouvernance qui est responsable de sa misère (depuis 2006 les guinéens sortent dans les rues pour exprimer son ras-le-bol). D’où le nécessité d’un renouveau ; avec un guinéen nouveau et une nouvelle gouvernance. La première déception est venue dès l’annonce du gouvernement Saïd Fofana (version 1). Pléthore de ministères, dysfonctionnements au niveau de leurs attributions, compétences sacrifiées au profit de récompenses politiques, le comble de tout cela est le retour à la présidence des « Têtes » que les guinéens voulaient effacés de leur mémoire. Les gens se sont sentis trahis et abusés dans leur combat de voir une autre Guinée émergée après cette élection.

La politique d’exclusion engagée : en 2010 le contexte électoral est différent de celui des élections précédentes en ce sens qu’il n’y avait pas de candidat président-sortant. Cette donne a favorisé l’expression libre des cadres de l’administration qui autrefois, se rangeaient stratégiquement au camp du parti au pouvoir. Mais, si cette liberté de choix est salutaire dans une démocratie, en Guinée, les vieilles habitudes héritées ont la vie dure. Une sorte de purge a été enclenchée au sein de l’administration guinéenne avec pour objectif de placer des militants à des fonctions de responsabilité. Compétents ou pas, on s’en préoccupe pas vraiment.

Les guinéens ne retrouvent pas le Président mais l’Opposant : quand on atteint l’objectif qui est celui d’être Président de la République, le discours doit être plus soigné, plus rassurant et surtout plus rassembleur. On ne s’adresse plus à des militants mais à tout un peuple. Les gouvernés ont besoin d’être rassurés par les gouvernants.

L’amateurisme de ceux qui défendent le Président : ils sont nombreux, les infatigables ‘’vuvuzelas’’ de la République. Dans les radios, sur les plateaux de télévision, ces mauvais communicants véhiculent une piètre image de la gouvernance actuelle. Très vulgaires dans leurs argumentaires, ces ‘’vuvezelas’’ font plus du mal à leur mentor qu’ils ne le croient.

Le culte de la personnalité entretenu par la RTG : la Radio Télévision Guinéenne (RTG) est aujourd’hui une honte nationale. La dernière fois j’étais devant mon petit écran et du coup l’idée m’est venue de compter le nombre de fois que l’expression « Le Professeur Alpha Condé » est prononcée (de 20h à 22h 30 mn). Tenez-vous bien ! 29 fois. Le journal y compris l’éditorial de l’infatigable Mamadou Dia en passant par les spots publicitaires, « le Professeur » est omniprésent dans la programmation des médias d’Etat.

Le manque de visibilité de la gouvernance actuelle : un Etat c’est avant tout une VISION. Cette vision sera traduite en POLITIQUE. Et cette dernière en PROGRAMMES et PROJETS de développement. 3 ans après l’élection de Alpha Condé, les guinéens attendent toujours des signes. La communication à visée propagandiste du fameux PPTE n’est plus à l’ordre du jour car ses promoteurs d’hier ont trouvé encore une nouvelle formule plus évasive. Au lieu qu’on parle de point ‘’d’achèvement’’ de l’initiative PPTE, ils ont lancé à la place le concept ‘’Point de départ’’. C’est une façon sournoise de dire ‘’Attendez encore ». Mais jusqu’à quand ?

Ceux de l’opposition

Ne me dites pas de définir le terme « opposition » car c’est un long débat. Qui est opposant et qui ne l’est pas ? Opposition ‘’radicale’’, ‘’modéré’’ ou ‘’courtisane’’, laissons la latitude aux intéressés d’en élucider ces concepts. La nécessité d’avoir une opposition forte dans une démocratie n’est plus à démontrer. Cependant, à l’image du pays, l’opposition guinéenne traine les mêmes tares. Toutefois, il n’est pas à négliger l’environnement dans lequel elle évolue. Aujourd’hui, nous avons en Guinée plusieurs blocs politiques. Un véritable imbroglio politicien où de façade, on défend des principes généraux de démocratie et de bonne gouvernance, mais en réalité, chacun cache son agenda personnel et profite des situations confuses pour se refaire une santé politique.

II- De l’opportunisme d’une certaine ‘’société civile’’

Le CNOSC et les autres plateformes

Le conseil national des organisations de la société civile est devenu aujourd’hui une gare où on attend le métro gouvernemental pour y monter. Des gens sont parqués là dans l’attente d’une éventuelle crise qui nécessiterait l’implication de la société civile dans la gestion des affaires publiques, pour bondir sur l’appât tendu. Mesurant l’importance du renforcement des capacités de la société civile dans les pays à démocratie balbutiante, les organismes internationaux mettent assez de moyens dans cette dynamique à travers des séminaires de formation et d’information et de financement de certains projets. Ces divers avantages aiguisent l’appétit de ces soi-disant représentants de la population.

Mais comme l’alternance n’est pas pratiquée à la tête de ses structures, nous assistons aujourd’hui à la création d’autres plates-formes de la société civile dont la seule différence est leurs dénominations et non les objectifs ou les méthodes.

Le Religieux

Ceux qui sont censés concilier les différentes parties en temps de crise, sont les plus controversés aujourd’hui en Guinée. Autrefois, les chefs religieux chrétiens jouaient plus ou moins ce rôle de derniers recours (le nom de Monseigneur Robert Sara est resté dans les mémoires). Quant aux chefs religieux musulmans, ils sont les plus contestés. Les gens se souviennent encore des positions prises et des actes posés par ces derniers, pendant les périodes de crises en Guinée. Laissez-moi juste rappeler cette statistique et qui est aussi paradoxale : les musulmans représentent plus de 90% de la population guinéenne et les chrétiens moins de 5%. Et ces derniers ont plus ou moins joué leurs rôles à un moment donné à la place des premiers.

III- De l’inefficacité des institutions républicaines

Le Conseil National de la Transition (CNT)

En mettant en place cette structure transitoire suite aux accords de Ouagadougou pour une sortie de crise en Guinée, les guinéens ont une fois encore, porté leur confiance à une frange de sa population pour lui représenter au sein de cette structure qui était censée doter la République de quelques textes réglementaires en attendant l’assemblée nationale véritable. Mais comme tant de guinéens auparavant, à qui, on a accordé la même confiance et qui ont finalement déçu, ces derniers du CNT ne pouvaient que décevoir car, sont les mêmes. Une fois encore, on oubli le mandataire (qui est la peuple de Guinée) et on profite des avantages liés à la fonction de conseiller. Comme un président qui modifie la constitution pour s’éterniser au pourvoir, le CNT manœuvre pour retarder l’installation d’une nouvelle Assemblée légitime. Dans cette entreprise égoïste, le contexte d’impasse politique entre pouvoir et opposition joue en sa faveur.

Le Conseil Economique et Social (CES)

A quoi sert ce conseil en Guinée ? Pratiquement, j’ai du mal à cerner la mission et les actions de ce conseil depuis sa mise en place. En vrai profane, je vois deux concepts : ‘’économique’’ et ‘’social’’. Comme par hasard, ces deux concepts renferment tous les problèmes du guinéen d’aujourd’hui (cherté de la vie et un climat social tendu). L’éternel président de ce conseil, Michel Kamano se contente de temps à autre, de recycler des déclarations où on présente les principes généraux de son institution sans aucune activité menée sur le terrain. Personne n’en parle, car, les guinéens ne braquent leurs projecteurs que sur la politique-sensation.

IV- De l’administration de commandement et non de développement

Au niveau central

Un de mes professeurs me disait souvent ceci : « en Guinée, si on te demandait de trouver dix bons cadres, tu peux en trouver. Si on te demandait de trouver dix très bons cadres, tu n’en trouveras pas cinq. Si on te demandait de trouver dix très bons cadres intègres, tu n’en trouveras aucun ». Cette observation témoigne du déficit criard de compétences dans l’administration guinéenne. Des méthodes archaïques de gestion héritées du premier régime ont fini par abrutir les fonctionnaires guinéens (par manque de programme de remise à niveau). Par les intempestives nominations dans les départements ministériels, nous assistons à des éternels recommencements car, si l’Etat est une continuité, clame-t-on partout, la réalité est autre en Guinée. Saviez-vous qu’au Burkina Faso, la mobilité des secrétaires généraux des ministères est très bien contrôlée. Un secrétaire général peut rester dans un département pendant cinq ans ou plus sans qu’il ne soit muté ailleurs. Cette disposition renforce la dynamique opérationnelle des ministères.

Une autre nouveauté dans l’administration guinéenne est sans doute l’élévation à outrance de plusieurs ministères en ministères d’Etat. Un ministère d’Etat devrait dans les conditions normales, renfermé deux ou plusieurs départements jugés importants et qui seront confiés à des ministres délégués. Mais, nous avons surtout l’impression que les ministères d’Etat sont créés pour différencier les ‘’amis’’ des ‘’amis proches’’ ou pour reconstituer les quatre régions naturelles en élevant quatre ressortissants de ces régions au rang de ministre d’Etat ou encore les deux à la fois. Bref, la confusion est totale et cela ne semble déranger personne.

Au niveau local

Les autorités locales n’ont pratiquement aucun pouvoir car elles se réfèrent permanemment à leur hiérarchie avant d’agir. L’approche de gouvernance « Top-down », (de haut vers le bas), et la méconnaissance des textes de lois et attributions par les agents locaux de l’administration constituent des facteurs explicatifs d’un tel état de fait. Par ailleurs, dans certaines préfectures, les responsables se lancent dans une campagne systématique de pillage de deniers publics et de toute sorte d’injustice et d’extorsions de fonds.

Quant au fonctionnement des structures décentralisées, c’est la preuve éloquente de l’échec de la politique de décentralisation en Guinée. Avec des présidents de CRD analphabètes et des secrétaires communautaires affairistes, des sous-préfets sèment habilement la zizanie dans ces contrées pour soutirer de l’argent dans les caisses de la CRD au nom des besoins administratifs (il faut signaler qu’à chaque passage ou réception d’un officiel de Conakry dans ces localités, la contribution des CRD est obligatoire). Les préfets sont les initiateurs de cet ‘’impôt occasionnel obligatoire’’ et qui est en même temps une source d’enrichissement à travers la surfacturation.

V- De la banalisation de la vie humaine

Oter la vie est devenu banal en Guinée. C’est un véritable Far West. Braquages à main armée, boutiques et magasins cassés, personnes abattues à bout portant, les populations guinéennes vivent un enfer depuis un certain temps. Face à cette situation, les forces de sécurité brillent par leur inefficacité et parfois par leur complicité. Dans le but de dissimuler leur incapacité à juguler cette spirale d’insécurité, la gendarmerie nationale à travers son chargé de communication, n’a trouvé autre explication, d’ailleurs très discutable, que d’accuser la crise malienne avec une hypothétique circulation d’armes légères dans la sous-région. Soyons sérieux un peu dans ce pays !

VI- De la naïveté des populations guinéennes

Quand un peuple n’a jamais connu le bonheur comme le peuple de Guinée, il se laisse étourdir par le mirage de la nouveauté. Rappelez-vous, certains leaders politiques guinéens ont bâti leur ‘’célébrité’’ en usurpant la paternité des quelques rares actions visibles de l’Etat. C’est un peuple qu’on manipule à volonté. Aux yeux du pouvoir et de l’opposition, le peuple n’est qu’un jouet. Malgré la pauvreté grandissante des populations avec ses corollaires de misères et de maladies, ces populations continuent inconsciemment à jouer le jeu des politiques (mouvements de soutien par-ci, marches politiques par-là, manipulations de toutes sortes). Tout est vu sous l’angle politique. Une situation qu’exploite le pouvoir pour noyer des exactions téléguidées perpétrées par les forces de sécurité. On est arrivé à un niveau où des préoccupations nationales sont perçues différemment par les guinéens et où le seul critère de jugement est l’ethnie de l’autre. Tout simplement parce que le problème d’une communauté quelconque n’est pas le problème de toute la Guinée. L’Etat qui est censé protéger ses populations est devenu un bourreau qui brime les siens.

Nous terminons cette première partie de notre analyse par cette citation de Jean-Louis Barrault : « La dictature, c’est’ferme ta gueule’’, la démocratie, c’est’cause toujours’’ »

(La suite très prochainement)

Sékou Chérif Diallo

Sociologue / Journaliste

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(Vidéo): Alpha Condé est le seul responsable de l’impasse politique

Entretien du jour avec SEKOU CHERIF DIALLO, Sociologue et journaliste guinéen. Avec Hamed Paraiso (Telesud), le Journaliste qui vit en exil en France évoque la situation socio-politique dans son pays.
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Cliquez ici: Entretien du jour avec SEKOU CHERIF DIALLO

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L’opposition guinéenne face à l’équation Alpha Condé

Parti pris 

Comment arriver à une alternance politique sans « brûler le pays » ? Les inconditionnels du jeu démocratique vous répondront sans équivoque : par les urnes. Et pour les autres ? Ils vont sans doute argumenter sur les multiples recours « possibles » face à un tel cas de figure.

Quel est alors le cas de figure qui se présente en Guinée ? Le régime de Alpha Condé peine à insuffler un véritable changement. La manipulation ethnique semble être le leitmotiv politiquement ancré dans les pratiques du régime. La pauvreté des Guinéens est aujourd’hui insoutenable. Les violations de la Constitution sont récurrentes. Les statistiques macabres sont alarmantes. Bref, le régime a failli à ses engagements d’offrir aux Guinéens des conditions de vie décentes, de les protéger et respecter le contrat social démocratique régi par des lois. Ce diagnostic est partagé par l’immense majorité des Guinéens. Même ceux qui soutiennent mordicus le régime savent que l’arc-en-ciel promis par le RPG (parti au pouvoir) n’a réellement qu’une seule couleur : le noir. Loin de faire de la caricature, j’essaie de présenter les faits. Face à un tel bilan, les velléités de changement anticonstitutionnel trouveraient leurs justifications et la légitimité populaire mettrait de l’ombre à la légalité constitutionnelle. Mais, l’issue ‘’envisagée’’ d’une telle entreprise est plus qu’incertaine et son évaluation a priori est inéluctablement hypothétique.

Revenons un instant sur la position de ceux qui défendent la voie des urnes pour ‘’abattre’’ légalement un régime jugé incompétent. Replongeons-nous dans l’histoire électorale récente de la Guinée pour asseoir notre argumentation. En 2010, Alpha Condé a été déclaré président de la République à l’issue de la plus invraisemblable élection . Un cas d’école sur la fraude électorale dans le monde. Arrivé en deuxième position avec 20,7 % au premier tour de l’élection et ne bénéficiant pas du soutien du troisième (Sidya Touré avec 15,6 %) et face au premier (Cellou Dalein) qui avait totalisé 39,7 %, Alpha Condé s’en sort avec 52,52 % au deuxième tour. Un exploit inédit diront certains, mais c’était plutôt le résultat d’une « vente aux enchères » où le plus offrant a raflé la mise. On pourrait trouver une explication à cette surenchère politicomafiosique sur la guéguerre qui a suivi entre l’acheteur et le vendeur où ce dernier est persona non grata dans son pays. Bref, comme sous l’arbre à palabres qui d’ailleurs mine l’ancrage démocratique dans nos pays, la forfaiture a été entérinée sous le prétexte d’une préservation de la paix sociale.

Moins d’an après, nous avons évalué ce que valait réellement cette « prétendue paix sociale » avec son couronnement macabre. En 2013, les élections législatives sont organisées. Cette fois-ci encore avec le même modus operandi. Le bras exécutant de toutes ces mascarades électorales n’est autre que l’organe chargé des élections en Guinée. La Commission électorale nationale « indépendante » est l’une des plus partisanes en Afrique. Sous un soleil de plomb, l’électeur guinéen s’aligne une journée entière dans l’attente pour pouvoir glisser son bulletin dans l’urne et quelques guinéens décident autrement des résultats à publier en violant la volonté exprimée par la majorité. Les frustrations qui en découlent décrédibilisent les arbitres électoraux et alimentent le sentiment de rejet et de défiance face à une tradition qui semble vivace.

Les crises politiques sont permanentes en Guinée. Le pouvoir est dans une logique de répression, de justification et de manipulation. De l’autre côté, l’opposition est coincée dans une spirale de revendications qui sont d’ailleurs toutes légitimes, de victimisation et des querelles fratricides de positionnement.

Comment alors résoudre une telle équation sans basculer dans une violence « inutile » ? Force est de constater que la situation du pays résulte d’un colmatage institutionnel initié et adopté par les organes de la transition de 2010 où le laxisme, le favoritisme et l’amateurisme ont contribué à la création et l’entretien d’un environnement de suspicion généralisée. Autre aspect notable, la relégation de la Constitution au second plan au profit d’accords tri ou multipartites dont les contours entretiennent des confusions et n’engagent que faiblement leurs signataires. Face à une telle exception dans un pays qui se targue d’être exceptionnel par le caractère plutôt insolite et informel de son modèle social, des mesures exceptionnelles s’imposent.

En ma qualité de citoyen lambda (ordinary citizen) dont la notoriété ne dépasse pas le seuil de ma porte, je me permets de faire un certain nombre de propositions aux acteurs qui nous ont injustement piégés dans des querelles infernales.

Au pouvoir (je voulais dire Alpha Condé)

L’organisation des élections communales et communautaires avant la présidentielle qui est aujourd’hui la principale revendication de l’opposition est la résultante d’une suspicion « fondée » sur le rôle des délégations spéciales mises en place par le régime. A cet effet, nous suggérons :

  1. Alpha Condé devrait prendre un décret révoquant toutes les délégations spéciales qui ont remplacé les élus locaux en déclarant une vacance des pouvoirs locaux jusqu’à l’installation des nouveaux élus ;
  2. Le rôle de la force spéciale de sécurisation des élections dans les fraudes électorales précédentes est avéré. La mission de cette force doit être redéfinie et elle doit s’occuper strictement de la sécurisation des bureaux de vote et du pays en général sans aucune implication directe dans la gestion et le transport du matériel électoral ;
  3. Écarter systématiquement toute l’administration déconcentrée du processus.

NB : je me permets cette naïveté intellectuelle de croire qu’Alpha Condé accèdera à cette requête sachant que son salut viendra de ces acteurs précités.

A la Céni (Commission électorale nationale  » indépendante « )

  1. Procéder à la recomposition de ses démembrements avec la présence des « vrais » représentants des partis politiques en lice ;
  2. Ces démembrements auront des missions élargies à celles jusque-là détenues par les délégations spéciales. Ils seront chargés de la gestion de tout le matériel électoral et de l’organisation au niveau local.

A l’opposition

  1. De faire preuve d’exigence sur le choix de ses représentants au niveau des démembrements de la Céni qui seront leurs véritables observateurs. En finir avec le laxisme et les affinités dans le choix de leurs représentants, qui ne se contenteront pas simplement d’émarger sur une fiche pour percevoir de per diem, mais de garants de la transparence. Cette recommandation est aussi valable pour ses délégués au bureau central de la céni.

Avec ce minimum de mesures concrètes, les positions radicales des différentes parties se décanteront et s’affineront. L’opposition pourrait adhérer à l’argument financier brandi par la Céni qui « justifierait » le choix d’inverser l’ordre des élections. Ainsi la seconde phase du processus sera abordée dans un environnement de confiance minimale retrouvée. De toute évidence, les étapes suivantes seront aussi laborieuses. La révision et le toilettage du fichier électoral, la redéfinition de la cartographie électorale, l’élaboration et la distribution des cartes d’électeurs soulèveront sans doute d’autres problématiques encore plus grandes. Le pouvoir reste le seul responsable de cette énième impasse politique.

Pour terminer, je réaffirme ma position inébranlable qui est celle d’un démocrate convaincu : un coup d’Etat militaire est toujours un recul démocratique. C’est plutôt une insurrection populaire qu’il faudrait redouter avec la tournure que prennent les évènements avec le pourrissement de la situation. De toute évidence, les révolutions populaires ont souvent connu la récupération militaire. Plusieurs exemples en font foi.

Sékou Chérif Diallo


Les commissions électorales en Afrique : le choix entre démocratie et dictature

L’alternance politique au Nigéria est pleine d’enseignements. Elle soulève le débat sur « l’indépendance » des commissions électorales en Afrique et leur rôle dans l’enracinement de la démocratie ou encore le maintien des dictatures en faisant fi des réalités des urnes.

Le président de la Commission électorale nationale indépendante Attahiru Jega (G) lors de la collecte des résultats, le 30 mars à Abuja (source: RFI)
Le président de la Commission électorale nationale indépendante Attahiru Jega (G) lors de la collecte des résultats, le 30 mars à Abuja (source: RFI)

Goodluck Jonathan, le président sortant qui a eu l’élégance de reconnaitre sa défaite est aujourd’hui salué par toutes les chancelleries et mêmes les citoyens lambda d’une Afrique « politique » traumatisée par une tradition d’élections truquées avec ses corollaires de violences postélectorales. Mais il a fallu qu’un groupe prenne la responsabilité de respecter la volonté de la majorité exprimée. C’est extraordinaire parce que cela relève de l’anormalité politique dans un contexte africain où le président « sortant » est en même temps « rentrant » D’ailleurs, le palais présidentiel est pour lui une résidence à « durée indéterminée »

Goodluck Jonathan a plutôt saisi le message des arbitres électoraux notamment les membres de l’organe chargé des élections au Nigéria. Sans le sens de responsabilité de ces derniers, la volonté de la majorité exprimée dans les urnes n’aurait pas suffi pour déboulonner un président africain de son Game of thrones (“Trône de fer“).
Le président de la commission électorale du Nigéria s’appelle Attahiru Jega. Vous le connaissiez ? Pas vraiment. Ce professeur de sciences politiques a été la cheville ouvrière de ce scrutin, l’artisan de cette alternance politique qui est malheureusement une denrée rare en Afrique. Barack Obama n’a pas manqué de le féliciter. Avant lui, d’autres responsables de commissions électorales africaines avaient œuvré dans ce sens en promouvant la démocratie dans un environnement hostile gangréné par une corruption généralisée.

Prenons l’exemple du Sénégal où Abdou Diouf en 2000 et Abdoulaye Wade en 2012 ont certes, inscrit leurs noms dans la short list des battus aux élections et qui ont accepté le verdict des urnes. Mais il a fallu un certain Louis Pereira de Carvalho le président de l’Observatoire national des élections (Onel) et Lamine CISSE le Ministre de l’Intérieur en 2000 ou encore Doudou Ndir le président de la Commission électorale nationale autonome (CENA) en 2012 pour faire respecter le verdict des urnes au président sortant.

Pendant cette période, au Benin en 1991 et 1996, au Burundi en 1993, en Centrafrique en 1993 ou encore au Malawi en 2014, les dirigeants des commissions électorales de ces pays sont aujourd’hui des illustres anonymes. Vous les connaissiez ? Pas vraiment. Ils n’ont pas cherché la célébrité mais ils ont juste fait leur travail, celui de répondre aux aspirations de leurs populations respectives. Les présidents de ces commissions ont en commun leur forte personnalité et saisissent le sens de l’œuvre historique pour leur peuple. Ils saisissent aussi cette grande responsabilité d’être le garant d’une démocratie en respectant les règles du jeu ou d’une dictature en violant ces règles. Ceux qui optent pour cette dernière sont plus animés par l’assouvissement de leur ego et des intérêts qui en découlent que de l’intérêt général. Pour illustrer cette triste réalité des commissions électorales partisanes et politiquement alignées, celle de la Guinée est d’une partialité consternante. Comme mentionné dans un précédent article, la commission électorale guinéenne est un prolongement de l’administration publique soumise aux mêmes injonctions du pouvoir. Tous les résultats qu’elle publiera sont connus d’avance : “Le parti au pouvoir est le parti qui a le pouvoir’”.

Revenons un instant sur le profil de ce que devrait être un responsable de la société civile dans un pays : “Il est censé être indépendant de l’Etat et des organisations économiques ; travailler dans un but non lucratif et s’intéresser uniquement à une participation politique indépendante”.Le paradoxe est encore saisissant : le président de cette commission Bakary Fofana est un ancien responsable de la société civile guinéenne. Je ne rappelle pas ici qu’il a été ministre des affaires étrangères car être ministre en Guinée relève de la banalité formalisée, aucune compétence professionnelle n’est requise mais la compétance démagogique est un prérequis fondamental.

La transhumance idéologique extraordinaire de Bakary Fofana est plutôt la résultante d’une certaine pathologie égocentrique de certains responsables de la société civile guinéenne qui profitent des impasses politiques récurrentes pour se positionner politiquement parce que, supposer représenter une troisième alternative quand pouvoir et opposition se décrédibilisent constamment.

Si hier, ils prétendaient défendre les intérêts des populations, aujourd’hui ils défendent ceux du pouvoir. Mais rien d’étonnant dans un contexte de marchandage politique où l’intellect est outrageusement monnayé et le manque de convictions est dissimulé dans des discours de bonnes intentions.

Pour s’enraciner dans la démocratie, le choix des présidents et membres des commissions électorales en Afrique mais aussi des responsables de la société civile doit être repensé dans tous ses aspects afin de s’assurer qu’on ne confie pas la destinée d’un pays à des marionnettes politiquement affichées et qui seraient au solde d’un quelconque pouvoir.

En saluant l’action des présidents et membres des commissions électorales qui ont accepté de jouer leur partition de façon démocratique, il faut cependant déplorer la réduction et l’identification des institutions africaines à de simples personnes, ce qui dénote non seulement le caractère fragile des outils juridiques régissant le fonctionnement de nos Etats mais aussi la cause sous-jacente de l’instabilité politique qui découle des élections contestées en Afrique.

Sékou Chérif Diallo

Sociologue/Journaliste

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