Ma lettre « non fermée » à l’opposition guinéenne
Est-ce vraiment une lettre ? Non, pas vraiment. C’est plutôt une diatribe « plaisante ». Mais rien de méchant car je ne franchirai pas la ligne rouge. Ligne rouge ? De quoi je parle exactement ? La ligne qui ménage tout le monde sans trop frustrer ceux qu’on appelle insidieusement « les extrémistes » des différents camps (deux le plus souvent). Telle est ma part d’hypocrisie intellectuelle (mais je ne suis le seul dans ce cas) qui consiste à vouloir donner raison à toutes les parties juste pour paraitre aux yeux de tout le monde qu’on est soit : « modéré », « patriote », « pas ethno », ou encore « intellectuel » (mais dans le sens lâche du terme).
C’est terrible et abject d’entendre ou lire des pseudos intellectuels défendre l’indéfendable de façon élégante et se réclamer d’un quelconque courant de pensée scientifique. La distance entre le fantasme politique et la realpolitik appliquée au niveau local mais ayant des tentacules géostratégiques extérieures se révèle très importante dans un contexte de dépendance.
Mais je devais parler de l’opposition dans cet article ! Pourquoi alors cette rhétorique plus ou moins lassante ou encore cette tournure sémantique d’une question apparemment simple ? Tel est le problème. Elle n’est pas si simple. L’événementiel ! C’est toujours facile de restituer les propos, gestes, actes d’un leader politique. Mais, l’événementiel étant perçu comme un raccourci pour moi, je préfère me torturer les méninges pour comprendre les logiques (illogiques le plus souvent), les motivations, les sous-entendus, bref, je suis un fouineur qui réfute les fausses apparences, les diktats, la pensée unique et toutes formes de musèlement de la liberté d’opinions. Mes opinions ! Je les assume et j’espère n’exercer aucune dictature de la pensée pour faire valoir mes argumentaires.
Ma lettre à l’opposition guinéenne commence maintenant. Vous voulez le Pouvoir ? Pas de doute là-dessus. Êtes-vous tous présidentiables ? Oui, bien sûr ! C’est la Guinée. Pas tout à fait, je rectifie. Deux ou trois le sont, mais les autres cherchent à exister tant bien que mal en jaugeant chaque matin leur popularité dans un bar café du quartier. Mais, ils peuvent toujours espérer car nous avons eu Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et aujourd’hui Alpha Condé. Ils étaient ou sont tout sauf des modèles de ce qu’on pourrait appeler « démocrates » Mais c’est la Guinée ! Alors pourquoi pas vous ? Mais êtes-vous prêts ? Oui je l’espère ! Mais des profonds doutes planent sur vos choix stratégiques ou encore vos différentes et contradictoires approches de conquête du pouvoir.
Faisons cet exercice de compréhension plus ou moins imagé et sans doute innocent : Partons de l’hypothèse que les élections prochaines seront libres, transparentes, inclusives et démocratiques. Même si cette hypothèse relève plutôt de la naïveté politique dans notre contexte mais elle nous permettra de cerner certaines questions fondamentales sur le processus électoral. Je viens de dire « processus électoral » ? Donc, c’est un enchainement d’actions et d’opérations. De façon générale, trois étapes suffisent pour les situer.
Avant les élections
La fiabilité du fichier électoral, la cartographie et la répartition rationnelle des bureaux de vote, l’identification de ces bureaux de vote par chaque électeur et la mobilisation des électeurs pour accomplir cet acte citoyen constituent des préalables pour s’engager et espérer gagner une élection. Dans le contexte guinéen, le fichier électoral est l’un des plus tripatouillés d’Afrique.
Dans le rapport final de la mission d’observation électorale de l’union européenne lors des législatives de septembre 2013, nous pouvons lire, pour l’illustrer, ce paragraphe plus ou moins évocateur de la réalité : « Une surreprésentation significative d‘électeurs ayant atteint 18 ans dans l’année du scrutin a été observée dans neuf circonscriptions électorales, toutes favorables au pouvoir en place ».
Le jour de l’élection
La mobilisation des électeurs est très importante mais la surveillance et la sécurisation des opérations de vote reviennent aux acteurs politiques impliqués. La grande naïveté de l’opposition guinéenne est de croire que les observateurs étrangers ou nationaux joueront ce rôle de « gendarme électoral » à leur place. Les premiers font partie d’un système complexe avec des enjeux différents et qui, de surcroit, ont directement ou indirectement financé les mêmes élections à la place de l’Etat en question. Pensez-vous que ces « délégués étrangers » invalideront des élections qu’ils ont eux-mêmes financé ? Pourquoi feront-ils cela ? Tout est question d’argent au niveau des groupes organisés et de profit au niveau des Etats. C’est ce qu’on appelle la « coopération intéressée ».
Après avoir mentionné la surreprésentation d’électeurs dans les zones acquises au pouvoir dans son rapport, les observateurs n’hésiteront pas à souligner dans le même rapport ceci : « La mission de l’UE déplore la variété des résultats rendus publics, qui présentaient, par ailleurs, des incohérences arithmétiques » Déplorer ou dénoncer, le choix des mots compte dans cet exercice de sournoiserie institutionnelle pour garder les liens avec tout le monde tout en entretenant une ambigüité totale. Il est indéniable que ce rapport démontre explicitement le caractère frauduleux de cette élection, mais il appartenait aux forces intérieures c’est-à-dire à l’opposition d’en faire bon usage de façon lucide. Mais il suffit qu’un document dépasse 50 pages pour réduire ses chances d’être lu par un grand nombre en Guinée. Telle est la triste réalité.
Cette opposition doit savoir (j’espère qu’elle le sait déjà) que derrière la défense des principes démocratiques, les décisions « opportunes » pour la stabilité des affaires de partenaires passent en premier. Telle est une autre triste et dure réalité qui ne sera jamais mentionnée dans une déclaration publique ou documents officiels des chers partenaires.Les seconds (nationaux) sont plus préoccupés par le financement obtenu pour jouer aux « observateurs de circonstance » que la sincérité des élections. Une motivation plutôt pécuniaire qu’idéologique. Ils sont prêts à accoucher de rapports qui feront plaisir aux organismes de financement qu’à leurs populations. Juste pour espérer un renouvellement du partenariat ultérieurement.
Le jour d’après
La commission nationale électorale indépendante (CENI) guinéenne est une gigantesque machine à fraude. Gigantesque, j’exagère un peu, avec toutes les carences qu’elle traine, il faudrait surtout dire qu’elle bénéficie de « l’adrénaline » apportée par les délégués de l’opposition qui pratiquent la rétention « voulue » d’informations capitales sur son fonctionnement réel (bien veiller au grain pour entretenir la mangeoire sélective). Du coup, les négociations, j’allais dire les achats de conscience se passent en douceur avec les délégués de cette opposition au sein de cette institution.
Quand ils soupçonnent de petites magouilles dans le partage du budget entre complices commissaires, là vous entendrez parler d’eux, juste pour faire monter les enchères. Vous savez comment la cartographie des bureaux de vote lors des législatives en 2013 a été modifiée ? Après avoir conduit des missions au niveau des démembrements de la CENI à l’intérieur du pays et élaboré une cartographie sérieuse avec ces démembrements, les délégués de l’opposition à la CENI ont été ventilés dans les ambassades et missions diplomatiques pour disent-ils, installer les commissions électorales. Les vrais maitres de la CENI ont profité de cette occasion pour modifier de façon ciblée la cartographie électorale en éloignant certains bureaux de vote des électeurs. Loin d’être des allégations mensongères, ces délégués de l’opposition à la CENI se souviendront sans doute d’avoir tenu ces propos en ma présence.
Tout est question d’argent à la CENI. Les missions de la CENI étant juteuses, alors il faudra entretenir des rapports complices internes pour fructifier cette manne considérable qui était jusque-là inespérée pour certains. Remarque simple : l’aspect financier ressort dans toutes les déclarations ou conférences de presse de la CENI mais très rarement l’admission des dysfonctionnements structurels et techniques de l’institution au niveau de ses démembrements. Pourtant, toutes les recommandations des observateurs étrangers sur ces dysfonctionnements constatés lors de l’élection présidentielle de 2010 sont restées sans suite et d’autres s’y sont rajoutées lors des législatives en 2013 : « Les carences organisationnelles, le manque de transparence et les défaillances de communication de la CENI ne lui auront pas permis de répondre aux besoins de son administration déconcentrée, des partis politiques, de la communauté internationale mais, avant tout, aux attentes des électeurs » pouvait-on lire dans ce rapport de l’UE.
L’opposition guinéenne a-t-elle aujourd’hui les moyens « humains » pour gagner une élection dans ces conditions ? Je ne parle pas de militants, sympathisants, et dans une large mesure de « foule électorale » qui excelle plus dans l’offre de bain de foule à leur candidat qu’à la définition et la mise en place de stratégies porteuses et efficaces pour une victoire réelle. Il ne sert à rien d’être un opposant célèbre qu’on invite dans certaines chancelleries ou rencontres internationales si toutefois on est porteur d’un projet pour un changement collectif et non d’affirmation individuelle. L’impopularité du régime actuel est un fait. Mais l’opposition saura-t-elle exploiter à son profit la décadence de ce régime ?
L’hypothèse contraire est celle où le pouvoir usera de tous les moyens, le plus souvent illégaux avec l’arsenal de l’administration déconcentrée et décentralisée (aujourd’hui très confondue d’ailleurs) pour perpétuer la tradition de fraude initiée en 2010 et rééditée en 2013. Face à cette nouvelle perspective qui est sans doute la plus plausible, l’opposition guinéenne restera-t-elle dans sa logique d’animatrice de l’actualité stérile en répondant incessamment à des idiots politiques médiatiquement propulsés ou pensera-t-elle à asseoir une véritable stratégie de conquête du pouvoir ? Mes propositions dans ma prochaine lettre « non fermée » à l’opposition guinéenne.
Sékou Chérif Diallo