Système éducatif guinéen : l’autre grand corps malade de la République

Article : Système éducatif guinéen : l’autre grand corps malade de la République
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6 décembre 2020

Système éducatif guinéen : l’autre grand corps malade de la République


Gouvernance


Il est largement admis que l’éducation est un moyen de lutter contre toutes les formes de pauvreté. Plus une population est éduquée, plus elle est productive. L’éducation conditionne la modification des comportements sociaux. Elle est le jalon de la compétitivité des Etats.

François Dubet et Danilo Martucceli, dans leur ouvrage intitulé, « A l’École : sociologie de l’expérience scolaire », rappellent que l’institution scolaire n’a pas qu’une fonction instrumentale, à savoir produire simplement des qualifications, mais selon eux, elle « produit aussi des individus ayant un certain nombre d’attitudes et de dispositions ». Ils soutiennent qu’être citoyen, non seulement ça s’apprend, mais ça doit aussi être un désir partagé pour assurer « la pérennité d’une communauté de destin ». D’un autre point de vue, on relie souvent la vitalité démocratique d’une société à la qualité de l’éducation citoyenne promue par son système éducatif.

La population guinéenne est caractérisée par un faible niveau d’instruction. Selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2014, environ 32 % des personnes âgées de 15 ans et plus sont alphabétisées, contre 68 % de personnes non alphabétisées. Le système éducatif guinéen est confronté à des problèmes structurels qui accentuent son incapacité à améliorer la qualité de l’offre et son attractivité.

Le financement du secteur en deçà de la moyenne des pays de la sous-région

Le système éducatif guinéen dans son ensemble souffre de sous-financement depuis une longue période. Selon le document Programme sectoriel de l’éducation 2015-2017, en 2005, la part des dépenses courantes du secteur sur les ressources propres de l’État (hors dons et hors secteur minier) était de 14 %. En 2012, la même donnée s’établit à 14,8 %, une valeur peu différente.

Sur le financement public du secteur de l’éducation, une note de l’AFD nous apprend qu’en 2013, le budget de l’éducation a représenté 3,2 % du PIB (par rapport à 4,7 % au niveau mondial) et 15,2 % du budget de l’État (contre une moyenne de 17 % pour l’Afrique subsaharienne). La même note souligne que l’arbitrage entre sous-secteurs n’était pas favorable à l’éducation de base, et en deçà des objectifs fixés par la communauté internationale (la part du budget allouée au primaire était relativement faible, de 43,3 %, tandis que celle allouée au supérieur s’élevait à 32,5 %). La part de l’enseignement primaire dans les ressources publiques allouées au secteur a diminué de 51 % en 2002 à 47 % en 2008, puis à 43 % en 2013. Malgré un certain effort croissant de consacrer au secteur de l’éducation des ressources publiques, cela reste en deçà de la moyenne des pays de la sous-région.

Dans un rapport d’analyse sectorielle publié en 2019 par l’Unesco intitulé « Guinée : Analyse du secteur de l’éducation et de la formation, Pour l’élaboration du programme décennal (2019-2028)« , les auteurs révèlent que le peu de ressources matérielles et financières disponibles sont dirigées principalement vers les services dont les activités sont les plus urgentes (préparation des examens, statistiques) et non les plus importantes en termes de qualité de l’éducation (formation du personnel administratif, des enseignants, élaboration des plans annuels).

La qualité, un des objectifs de l’éducation pour tous

Dans une publication intitulée Perspectives : L’école au service de l’apprentissage en Afrique, publiée en 2018, la Banque mondiale dresse un constat alarmant sur la qualité de l’éducation en Afrique. Selon l’institution, l’Afrique a fait d’incontestables progrès pour augmenter la scolarisation dans le primaire et le premier cycle du secondaire. Pourtant, près de 50 millions d’enfants restent non scolarisés et la plupart de ceux qui fréquentent l’école n’y acquièrent pas les compétences de base indispensables pour réussir dans la vie.

Elle souligne que la faiblesse des acquis scolaires dans la région [l’Afrique] est préoccupante : « trois quarts des élèves de deuxième année évalués sur leurs compétences en calcul dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne étaient incapables de compter au-delà de 80 et 40 % ne parvenaient pas à effectuer une addition simple à un chiffre. En lecture, entre 50 et 80 % des élèves de deuxième année ne pouvaient pas répondre à une seule question tirée d’un court passage lu et un grand nombre étaient incapables de lire le moindre mot. »

Si le défi de la scolarisation dans le primaire est en passe d’être gagné en Afrique, avec plus de 80 % des enfants qui achèvent ce cycle, la qualité de l’enseignement proposé reste un défi.  

Au cours d’une conférence sur l’école de demain pour l’Afrique organisée par l’AFD en 2018 à Paris, le péruvien Jaime Saavedra, directeur pour l’Éducation de la Banque mondiale a résumé les enjeux en ces termes : « la scolarisation n’est pas l’apprentissage ». En d’autres termes, sans une éducation de qualité, la scolarisation ne suffit pas. Les chiffres sont inquiétants : « parmi les enfants scolarisés en Afrique subsaharienne, 93 % n’ont pas acquis les compétences de base en lecture et 86 % en mathématique. »

Dans un article intitulé Les défis de l’éducation dans les pays riverains de la méditerranée, Jean-Claude Vérez soutient que « privilégier la qualité de l’éducation plutôt que la quantité revient à dissocier acquis des élèves et taux de scolarisation, formation d’une élite et fuite des cerveaux, hausse du nombre de diplômés et chômage massif de ces mêmes diplômés, formation générale et employabilité, etc. » Chimombo, cité par Fatou Niang dans un article intitulé L’école primaire au Sénégal : éducation pour tous, qualité pour certains, soutiendra cependant que « s’il est théoriquement admis que l’élargissement de l’accès à l’éducation devrait aller de pair avec l’amélioration de la qualité, réaliser conjointement ces deux objectifs peut être difficile pour les pays d’Afrique subsaharienne ».


« La scolarisation n’est pas l’apprentissage« 

Jaime Saavedra

Depuis la conférence mondiale sur l’éducation pour tous de Jomtien en 1990, les organisations internationales ont adjoint à l’objectif d’expansion de l’éducation, l’impératif d’amélioration de la qualité. Mais il a fallu attendre le Forum mondial sur l’éducation pour tous de Dakar en 2000 pour que la « qualité » soit au centre du débat sur le développement de l’éducation, particulièrement en Afrique subsaharienne. À cet effet, l’objectif 6 de l’Éducation pour tous illustre l’importance d’intégrer l’enjeu « qualité de l’éducation » dans les politiques publiques des États : « améliorer sous tous ses aspects la qualité de l’éducation dans un souci d’excellence de façon à obtenir pour tous des résultats d’apprentissage reconnus et quantifiables – notamment en ce qui concerne la lecture, l’écriture et le calcul et les compétences indispensables dans la vie courante. »

Le défi de l’éducation pour tous, que la communauté internationale s’est engagée à relever à Dakar en 2000, a entraîné une hausse importante des besoins en personnel enseignant. L’Afrique subsaharienne n’échappe pas à cette réalité. Non seulement elle manque de ressources enseignantes, mais elle constitue aussi une partie du monde qui fait face à une croissance rapide de sa population en âge de fréquenter l’école.

Faible qualification du personnel de l’éducation, difficiles conditions d’enseignement et corruption

De façon générale, l’insuffisance de personnel qualifié pour assurer une bonne gestion administrative courante et conduire les politiques de réformes est une problématique majeure en Guinée. Le secteur de l’éducation n’échappe pas à cette réalité.

Dans un rapport synthèse de 2019 sur les ODD, intitulé Les pays sont-ils en bonne voie d’atteindre l’ODD 4 ?, les auteurs du rapport soulignent que la proportion d’enseignants formés chute en Afrique subsaharienne.

Rappelons que la cible 4.c des ODD vise « d’ici à 2030, d’accroître considérablement le nombre d’enseignants qualifiés, notamment au moyen de la coopération internationale pour la formation d’enseignants dans les pays en développement, surtout dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement ».

Cependant, en Afrique subsaharienne, selon ce même rapport de 2019 sur les ODD, seuls 64 % d’enseignants du primaire et 50 % d’enseignants du secondaire ont reçu les formations minimum organisées requises, et ce pourcentage est en baisse depuis 2000 à la suite du recrutement d’enseignants contractuels sans qualifications pour combler les déficits à un coût moindre.

En Guinée, selon le rapport d’Évaluation sommative de l’appui du GPE à l’éducation au niveau des pays publié en mai 2020, « des mesures ont été prises pour introduire de nouvelles méthodologies et de nouveaux modes de formation des enseignants ». Mais selon les auteurs du rapport, « ces mesures sont en partie demeurées au stade d’essai et ne s’étendent pas encore à l’ensemble du pays. Elles comprenaient, entre autres : la mise à l’essai d’un programme de formation initiale de trois ans pour enseignants de niveau préscolaire dans trois centres de formation des enseignants ; l’introduction d’une formation des enseignants en cours d’emploi sur la pédagogie de la lecture dans les petites classes ; le soutien à quatre centres de formation des enseignants ». Les données dans ce rapport du Partenariat mondial pour l’éducation, indiquent une pénurie d’enseignants formés (seulement 19,5 %) dans les écoles secondaires publiques et, dans une moindre mesure, dans les écoles primaires.

Sur la problématique de la défaillance du système éducatif guinéen et les faibles taux de réussite au baccalauréat, l’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Bailo Teliwel, dans une interview en 2019 soulignait : « le plus important n’est pas la régression des taux d’admission mais bel et bien la régression de la qualité de l’enseignement ». Il faut rappeler que la Guinée a connu en 2018 (26,04 %) et 2019 (24,38 %) les taux de réussite au baccalauréat les plus faibles de son histoire. Pour ce professionnel et ancien acteur du système éducatif guinéen, « l’admission et le taux qui le chiffre sont les résultats d’un système et d’un processus qui est bien antérieur à l’examen. » Selon lui, cette situation est la résultante de plusieurs facteurs : « les équipements, les infrastructures, la pédagogie, la qualité de l’administration, les activités scolaires et extra scolaires, l’encadrement parental et social, les politiques éducative, sociale et économique, les comportements, notamment des élites etc. »


Il faut rappeler que la Guinée a connu en 2018 (26,04 %) et 2019 (24,38 %) les taux de réussite au baccalauréat les plus faibles de son histoire.


Pour illustrer les conditions d’enseignement et la dévalorisation du métier d’enseignant en Guinée, EsterBotta Somparéet AbdoulayeWotem Somparé, dans un article intitulé La condition enseignante en Guinée : des stratégies de survie dans le champ scolaire et universitaire guinéen, racontent des anecdotes qui ironisent la pauvreté de ces acteurs essentiels du système éducatif : « je ne donnerai jamais ma fille à un enseignant, c’est un gendre trop pauvre », déclare un père, ou encore « vous n’êtes qu’un enseignant, vous ne pourrez jamais acheter ça ! », réponse à un professeur d’université qui demande le prix d’une voiture à un vendeur. Ces auteurs rappellent le contraste du métier d’enseignant aujourd’hui en Guinée, avec « le prestige dont cette profession était entourée à l’époque coloniale. »

La question du salaire des enseignants et son impact sur la qualité de l’éducation reste problématique. Il n’est plus à démontrer la corrélation entre un salaire attrayant et l’attractivité de la profession. Un salaire attrayant permet d’attirer et de retenir les diplômés les plus qualifiés dans la profession d’enseignant. Le salaire a toujours été au cœur des revendications du syndicat des enseignants guinéens avec son corollaire de grèves quasi permanentes ces dernières années.

Sur le matériel pédagogique dérisoire voire inexistant, il est rapporté dans un article publié dans Jeune Afrique intitulé Guinée : pourquoi les enseignants sont-ils en grève ?, les interrogations d’un enseignant guinéen : « Avec les cours théoriques seulement, les élèves comprennent difficilement. Mais comment effectuer des travaux pratiques sans laboratoire ? », « Il n’y a même pas de bibliothèque ! » poursuit-il. Se prononçant sur les effectifs pléthoriques dans les salles de classe, l’enseignant témoigne qu’ils s’élèvent à « 130 élèves, voire plus » par salle de classe.

Cette situation renvoie à la problématique du financement du secteur et l’utilisation des fonds d’appui au secteur de l’éducation. Selon le rapport du Partenariat mondial pour l’éducation publié en mai 2020, en Guinée, comme dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur est essentiellement financé par l’État, mais la majorité des dépenses d’investissement sont financées par des organismes externes. Par conséquent, les principales réalisations en matière de mise en œuvre des plans sectoriels dépendent du soutien des bailleurs de fonds. Toujours selon ce rapport, « L’aide publique au développement (APD) consacrée à l’éducation en Guinée est passée de 38,1 millions de dollars américains en 2015 à 47,1 millions de dollars américains en 2017 ».

La corruption affecte négativement la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs. Elle réduit les dépenses d’éducation, favorise le gaspillage et la mauvaise allocation des recettes de l’État.

Dans Écoles corrompues, universités corrompues : que faire ? publié en 2009, Hallak et Poisson définissent la corruption dans le secteur de l’éducation comme « une utilisation systématique d’une charge publique pour un avantage privé, qui a un impact significatif sur la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs et, en conséquence, sur l’accès, la qualité ou l’équité de l’éducation. »

Ces auteurs énumèrent les conséquences de la corruption dans le milieu éducatif selon trois principaux aspects : l’accès à la ressource éducative, la qualité du système éducatif et l’équité du système éducatif. Il ressort des conclusions de ces auteurs que la corruption influence négativement ces trois aspects et est un frein au développement social.

Lamia MOKADDEM, dans un article intitulé La corruption compromet elle la réalisation de l’éducation pour tous ? : les canaux de transmission, souligne quant à elle, que  « plusieurs études et données empiriques mettent en évidence que les pays où les niveaux de corruption sont les plus faibles tendent à avoir des services publics très efficaces et à réaliser les meilleures performances éducatives. »

Classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde, la Guinée occupait la 130e place sur 180 pays de l’Indice de la Perception de la Corruption dans le secteur public de Transparency International 2019. Selon une enquête Afrobarometer de 2020, une écrasante majorité (82%) des Guinéens évaluent la performance du gouvernement dans la lutte contre la corruption comme étant « plutôt » ou « très » mauvaise. Toutes les formes de corruption ont cours en Guinée, aussi bien la corruption active que la corruption passive. Le phénomène touche tous les secteurs de l’administration avec une ampleur plus grande dans les services de l’économie et des finances (douane, impôts, marchés publics…).

Sékou Chérif Diallo


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