Sékou Chérif Diallo

Robert Mugabe, président de l’UA : rien d’anormal !

Désigné par ses pairs, le 30 janvier 2015, à la tête de l’Union africaine Robert Mugabe, président du Zimbabwe, plutôt « propriétaire » du Zimbabwe est avant tout ce qu’on pourrait appeler un « père fondateur » pour reprendre l’expression de Mamane dans son célèbre concept « Gondwana ».Cette désignation n’a rien d’anormal. Elle entre dans le cadre de la solidarité des dictateurs confirmés et ceux en herbe qui admirent un modèle.

Robert Mugabe, Président du Zimbabwé
Robert Mugabe, président du Zimbabwe

Le personnage Mugabe est difficilement cernable. Champion des indépendances, l’homme est apprécié de ses populations et des partenaires internationaux pour la réussite de sa première politique agricole dans les années 80 qui plaçait son pays comme l’un des greniers de l’Afrique. Peu à peu, Robert Mugabe bascule dans une sorte de boulimie du pouvoir. Menacé de l’intérieur par un mouvement syndical, il décida alors de sacrifier les acquis du pays par une autre réforme agricole plutôt populiste dans le seul but de reconquérir l’électorat noir et se maintenir au pouvoir. Classique comme démarche ‘’redistribuer les terres à ses compatriotes pour s’assurer de leur adhésion’’. Sans calcul politicien, la mesure n’est pas mauvaise en soi. Mais il fallait faire preuve de réalisme et procéder graduellement pour assurer une meilleure transition.

Nelson Mandela avait saisi cette évidence quand il a accédé au pouvoir. Bref, les mesures populistes ont toujours eu des conséquences néfastes. Revenons sur l’objet de notre sujet : l’organisation de l’Union africaine dans ses contradictions. Lors de son 8e sommet tenu à Addis-Abeba en janvier 2007, l’UA adoptait une charte dite : « Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance ». Très accrocheur comme concept. Cet instrument politico-juridique est a priori l’idéal démocratique tant recherché. Mais il s’agit là, du point de vue d’un profane qui fonde son jugement sur la simple dénomination de cette fameuse charte sans connaître son contenu et ses applications réelles. Evidemment, certains préfèrent les raccourcis pour asseoir leur conviction erronée.

Dans une approche analytique inspirée de nos lectures notamment de l’ouvrage de Romuald Likibi[1] l’exemple Mugabe est une simple illustration parmi tant d’autres de cette incohérence manifeste d’une organisation africaine qui prônerait la démocratie dans les textes, mais pose des actes antidémocratiques. En lisant cette fameuse Charte, on est vite frappé dès le préambule par cette ‘’profession de foi’’ : « Soucieux d’enraciner dans le continent une culture d’alternance politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes, conduites par des organes électoraux nationaux indépendants compétents et impartiaux ». C’est toujours facile d’aligner des expressions toutes faites pour remplir des pages sachant pertinemment que tout cela est faux.

Une Charte de la démocratie qui fait la promotion des antidémocrates…

Inutile de rappeler que Robert Mugabe est aux antipodes de cette description qui relève plutôt de la poésie institutionnelle comme certains de ses homologues savent bien le faire. Paul Biya du Cameroun, Idriss Déby du Tchad, Sassou-Nguesso du Congo ou encore Obiang Guema de la Guinée équatoriale peuvent trinquer à l’honneur de l’UA pour avoir accouché cette hypocrisie ‘’juridiquement encadrée’’ pour jeter la poudre aux yeux des inconditionnels de la démocratie. Romuald Likibi est plus éloquent pour illustrer cette fourberie : « Le dédoublement permanent de l’UA entre les principes fièrement affirmés et affichés et la réalité se traduisant par le décernement complaisant du ‘’brevet d’honorabilité’’ à nombre de chefs d’Etat africains réellement honnis par les peuples est un exercice qui discrédite profondément ». Autrement dit, une Charte de la démocratie qui fait la promotion des antidémocrates. Vous comprenez quelque chose dans cette approche de l’UA ? Non ! Romuald aussi semble perdu dans la compréhension de cette incohérence : « N’est-ce pas surréaliste et paradoxal de rechercher d’un côté la promotion de la Charte africaine de la démocratie à travers des élections irréprochables et de l’autre de reconnaître officiellement les présidences viagères réélues à la suite d’élections biaisées ? »

De toute évidence, cet ouvrage n’aura pas de succès dans certains palais africains en ce sens qu’il remue le couteau dans la plaie de l’UA qui, loin d’être une organisation qui prône des valeurs démocratiques, est plutôt un simple syndicat de chefs d’Etat, une « solidarité par le haut ». La forte mobilisation de ces derniers contre la Cour pénale internationale (CPI) pour disent-ils dénoncer un certain « acharnement » de cette Cour à l’encontre des dirigeants ou ex-dirigeants africains est très illustrative de cette volonté de défendre des intérêts communs. Robert Mugabe, Omar El Béchir du Soudan ou encore Mwai Kibaki du Kenya et tous les autres fossoyeurs de la démocratie se sentent bien dans ces dispositions et remercient l’UA d’avoir créé et entretenu cet environnement de liberté pour les dictateurs en cautionnant leurs dérives le plus souvent à l’encontre de leur propre peuple.  [1] Romuald Likibi , « La Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance : analyse et commentaires », Editions Publibook, 2012, 419 pages.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Alpha Condé ou le syndrome d’une crise permanente

Elle est sanitaire, sécuritaire, politique, bref, ce qu’on pourrait appeler une crise de régime. Les conséquences d’un colmatage institutionnel où des accords régulent la vie constitutionnelle du pays.

Alpha Condé lors de son investiture en 2010
Alpha Condé lors de son investiture en 2010

Celui qui est incapable de respecter une constitution se moque des accords signés. Alpha Condé est perpétuellement dans une logique de rapports de forces politique au détriment des objectifs de développement. Le tout-politique.

Elu en 2010 dans des circonstances très chaotiques avec la bénédiction d’une certaine communauté internationale arguant l’argument de préservation de la paix, qui, d’ailleurs ne tardera pas à désenchanter sur les capacités réelles de cet « opposant historique » à gouverner un Etat. Comment voulez-vous qu’un parti politique qui pèse réellement moins de 20% de l’électorat guinéen puisse gouverner ? On peut trouver là une part d’explication de son acharnement à tripatouiller toutes les élections en sa faveur. Les élections législatives qui étaient prévues 6 mois après la présidentielle n’ont finalement eu lieu qu’en 2013, 3 ans après. Une seconde mascarade électorale entérinée par ses adversaires politiques qui se sont contentés du minimum là où ils pouvaient avoir la majorité, se nourrissant des symboles du genre « C’est une première que l’opposition remporte les 5 communes de Conakry » Et après ? Ça change quoi ? Vous n’avez pas la majorité ! Bref, revenons sur l’actualité.

L’opposition a toutes les raisons de suspecter le pouvoir de récidiver la fraude. Tous les signaux indiquent cette direction. La commission électorale nationale ‘’indépendante’’ organe en charge des élections est dans les faits, un prolongement de l’administration publique soumise aux mêmes injonctions du pouvoir. En sortant le chronogramme des élections futures où la présidentielle vient avant les communales et communautaires, la CENI cherche avant tout à protéger Alpha Condé d’une possible illégitimité après la fin de son mandat qui plongerait le pays dans une nouvelle transition politique. Du coup, la présidentielle est devenue une urgence stratégique pour le régime.

Après avoir tiré les leçons des législatives de 2013 où les délégations spéciales qui remplacent les maires ont joué un rôle majeur dans l’exécution de la fraude en faveur du pouvoir, l’opposition a raison d’exiger la tenue des communales et communautaires avant la présidentielle. Je rappelle ce fait pour avoir été un témoin de cette mascarade électorale en 2013, les deux acteurs chargés de la matérialisation de la fraude au niveau local sont : les délégations spéciales et la FOSSEL (la force spéciale de sécurisation des élections). Les premiers sont chargés de la gestion du matériel électoral et les seconds du transport de ce matériel mais aussi de l’introduction des urnes pré-remplies dans les salles de centralisation des résultats. Officiellement ces derniers sont chargés de la sécurisation de ces salles et sont les seuls à avoir accès en dehors des heures de travail de la commission. Le cas de Kaloum pendant les législatives est un exemple éloquent de cette complicité de la FOSSEL.

Aujourd’hui une crise est née, disent certains observateurs. Mais la crise est permanente avec ce régime. L’opposition retire ses députés à l’assemblée nationale, remet en cause la légitimité de la CENI et projette de reprendre les manifestations de rues pour se faire entendre. C’est du déjà vu ! Cette stratégie est-elle efficace ? Oui. Elle est républicaine cette opposition. Loin d’être leur avocat, il faut cependant, reconnaitre qu’elle fait assez de compromis pour préserver la paix et l’unité des guinéens dans un environnement pollué par la haine entretenue par le pouvoir. Le diagnostic est clair : Alpha Condé engage la Guinée vers un avenir incertain et il faudra craindre le pire avec ce régime.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Ma lettre « non fermée » à l’opposition guinéenne


Est-ce vraiment une lettre ? Non, pas vraiment. C’est plutôt une diatribe « plaisante ». Mais rien de méchant car je ne franchirai pas la ligne rouge. Ligne rouge ? De quoi je parle exactement ? La ligne qui ménage tout le monde sans trop frustrer ceux qu’on appelle insidieusement « les extrémistes » des différents camps (deux le plus souvent). Telle est ma part d’hypocrisie intellectuelle (mais je ne suis le seul dans ce cas) qui consiste à vouloir donner raison à toutes les parties juste pour paraitre aux yeux de tout le monde qu’on est  soit : « modéré », « patriote », « pas ethno », ou encore « intellectuel » (mais dans le sens lâche du terme).

C’est terrible et abject d’entendre ou lire des pseudos intellectuels défendre l’indéfendable de façon élégante et se réclamer d’un quelconque courant de pensée scientifique. La distance entre le fantasme politique et la realpolitik appliquée au niveau local mais ayant des tentacules géostratégiques extérieures se révèle très importante dans un contexte de dépendance.

Mais je devais parler de l’opposition dans cet article ! Pourquoi alors cette rhétorique plus ou moins lassante ou encore cette tournure sémantique d’une question apparemment simple ? Tel est le problème. Elle n’est pas si simple. L’événementiel ! C’est toujours facile de restituer les propos, gestes, actes d’un leader politique. Mais, l’événementiel étant perçu comme un raccourci pour moi, je préfère me torturer les méninges pour comprendre les logiques (illogiques le plus souvent), les motivations, les sous-entendus, bref, je suis un fouineur qui réfute les fausses apparences, les diktats, la pensée unique et toutes formes de musèlement de la liberté d’opinions. Mes opinions ! Je les assume et j’espère n’exercer aucune dictature de la pensée pour faire valoir mes argumentaires.

Ma lettre à l’opposition guinéenne commence maintenant. Vous voulez le Pouvoir ? Pas de doute là-dessus. Êtes-vous tous présidentiables ? Oui, bien sûr ! C’est la Guinée. Pas tout à fait, je rectifie. Deux ou trois le sont, mais les autres cherchent à exister tant bien que mal en jaugeant chaque matin leur popularité dans un bar café du quartier. Mais, ils peuvent toujours espérer car nous avons eu Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et aujourd’hui Alpha Condé. Ils étaient ou sont tout sauf des modèles de ce qu’on pourrait appeler « démocrates » Mais c’est la Guinée ! Alors pourquoi pas vous ? Mais êtes-vous prêts ? Oui je l’espère ! Mais des profonds doutes planent sur vos choix stratégiques ou encore vos différentes et contradictoires approches de conquête du pouvoir.

Faisons cet exercice de compréhension plus ou moins imagé et sans doute innocent : Partons de l’hypothèse que les élections prochaines seront libres, transparentes, inclusives et démocratiques. Même si cette hypothèse relève plutôt de la naïveté politique dans notre contexte mais elle nous permettra de cerner certaines questions fondamentales sur le processus électoral. Je viens de dire « processus électoral » ? Donc, c’est un enchainement d’actions et d’opérations. De façon générale, trois étapes suffisent pour les situer.

Avant les élections

La fiabilité du fichier électoral, la cartographie et la répartition rationnelle des bureaux de vote, l’identification de ces bureaux de vote par chaque électeur et la mobilisation des électeurs pour accomplir cet acte citoyen constituent des préalables pour s’engager et espérer gagner une élection. Dans le contexte guinéen, le fichier électoral est l’un des plus tripatouillés d’Afrique.

Dans le rapport final de la mission d’observation électorale de l’union européenne lors des législatives de septembre 2013, nous pouvons lire, pour l’illustrer, ce paragraphe plus ou moins évocateur de la réalité : « Une surreprésentation significative d‘électeurs ayant atteint 18 ans dans l’année du scrutin a été observée dans neuf circonscriptions électorales, toutes favorables au pouvoir en place ».

Le jour de l’élection

La mobilisation des électeurs est très importante mais la surveillance et la sécurisation des opérations de vote reviennent aux acteurs politiques impliqués. La grande naïveté de l’opposition guinéenne est de croire que les observateurs étrangers ou nationaux joueront ce rôle de « gendarme électoral » à leur place. Les premiers font partie d’un système complexe avec des enjeux différents et qui, de surcroit, ont directement ou indirectement financé les mêmes élections à la place de l’Etat en question. Pensez-vous que ces « délégués étrangers » invalideront des élections qu’ils ont eux-mêmes financé ? Pourquoi feront-ils cela ? Tout est question d’argent au niveau des groupes organisés et de profit au niveau des Etats. C’est ce qu’on appelle la « coopération intéressée ».

Après avoir mentionné la surreprésentation d’électeurs dans les zones acquises au pouvoir dans son rapport, les observateurs n’hésiteront pas à souligner dans le même rapport ceci : « La mission de l’UE déplore la variété des résultats rendus publics, qui présentaient, par ailleurs, des incohérences arithmétiques » Déplorer ou dénoncer, le choix des mots compte dans cet exercice de sournoiserie institutionnelle pour garder les liens avec tout le monde tout en entretenant une ambigüité totale. Il est indéniable que ce rapport démontre explicitement le caractère frauduleux de cette élection, mais il appartenait aux forces intérieures c’est-à-dire à l’opposition d’en faire bon usage de façon lucide. Mais il suffit qu’un document dépasse 50 pages pour réduire ses chances d’être lu par un grand nombre en Guinée. Telle est la triste réalité.

Cette opposition doit savoir (j’espère qu’elle le sait déjà) que derrière la défense des principes démocratiques, les décisions « opportunes » pour la stabilité des affaires de partenaires passent en premier. Telle est une autre triste et dure réalité qui ne sera jamais mentionnée dans une déclaration publique ou documents officiels des chers partenaires.Les seconds (nationaux) sont plus préoccupés par le financement obtenu pour jouer aux « observateurs de circonstance » que la sincérité des élections. Une motivation plutôt pécuniaire qu’idéologique. Ils sont prêts à accoucher de rapports qui feront plaisir aux organismes de financement qu’à leurs populations. Juste pour espérer un renouvellement du partenariat ultérieurement.

Le jour d’après

La commission nationale électorale indépendante (CENI) guinéenne est une gigantesque machine à fraude. Gigantesque, j’exagère un peu, avec toutes les carences qu’elle traine, il faudrait surtout dire qu’elle bénéficie de « l’adrénaline » apportée par les délégués de l’opposition qui pratiquent la rétention « voulue » d’informations capitales sur son fonctionnement réel (bien veiller au grain pour entretenir la mangeoire sélective). Du coup, les négociations, j’allais dire les achats de conscience se passent en douceur avec les délégués de cette opposition au sein de cette institution.

Quand ils soupçonnent de petites magouilles dans le partage du budget entre complices commissaires, là vous entendrez parler d’eux, juste pour faire monter les enchères. Vous savez comment la cartographie des bureaux de vote lors des législatives en 2013 a été modifiée ? Après avoir conduit des missions au niveau des démembrements de la CENI à l’intérieur du pays et élaboré une cartographie sérieuse avec ces démembrements, les délégués de l’opposition à la CENI ont été ventilés dans les ambassades et missions diplomatiques pour disent-ils, installer les commissions électorales. Les vrais maitres de la CENI ont profité de cette occasion pour modifier de façon ciblée la cartographie électorale en éloignant certains bureaux de vote des électeurs. Loin d’être des allégations mensongères, ces délégués de l’opposition à la CENI se souviendront sans doute d’avoir tenu ces propos en ma présence.

Tout est question d’argent à la CENI. Les missions de la CENI étant juteuses, alors il faudra entretenir des rapports complices internes pour fructifier cette manne considérable qui était jusque-là inespérée pour certains. Remarque simple : l’aspect financier ressort dans toutes les déclarations ou conférences de presse de la CENI mais très rarement l’admission des dysfonctionnements structurels et techniques de l’institution au niveau de ses démembrements. Pourtant, toutes les recommandations des observateurs étrangers sur ces dysfonctionnements constatés lors de l’élection présidentielle de 2010 sont restées sans suite et d’autres s’y sont rajoutées lors des législatives en 2013 : « Les carences organisationnelles, le manque de transparence et les défaillances de communication de la CENI ne lui auront pas permis de répondre aux besoins de son administration déconcentrée, des partis politiques, de la communauté internationale mais, avant tout, aux attentes des électeurs » pouvait-on lire dans ce rapport de l’UE.

L’opposition guinéenne a-t-elle aujourd’hui les moyens « humains » pour gagner une élection dans ces conditions ? Je ne parle pas de militants, sympathisants, et dans une large mesure de « foule électorale » qui excelle plus dans l’offre de bain de foule à leur candidat qu’à la définition et la mise en place de stratégies porteuses et efficaces pour une victoire réelle. Il ne sert à rien d’être un opposant célèbre qu’on invite dans certaines chancelleries ou rencontres internationales si toutefois on est porteur d’un projet pour un changement collectif et non d’affirmation individuelle. L’impopularité du régime actuel est un fait. Mais l’opposition saura-t-elle exploiter à son profit la décadence de ce régime ?

L’hypothèse contraire est celle où le pouvoir usera de tous les moyens, le plus souvent illégaux avec l’arsenal de l’administration déconcentrée et décentralisée (aujourd’hui très confondue d’ailleurs) pour perpétuer la tradition de fraude initiée en 2010 et rééditée en 2013. Face à cette nouvelle perspective qui est sans doute la plus plausible, l’opposition guinéenne restera-t-elle dans sa logique d’animatrice de l’actualité stérile en répondant incessamment à des idiots politiques médiatiquement propulsés ou pensera-t-elle à asseoir une véritable stratégie de conquête du pouvoir ? Mes propositions dans ma prochaine lettre « non fermée » à l’opposition guinéenne.


Sékou Chérif Diallo



Du nouveau à Conakry : on te cible et on te tue !

Sortez-nous vos phrases toutes faites du genre « Nous avons procédé à l’ouverture d’une enquête et les services de police ont pris toutes les dispositions nécessaires pour retrouver les coupables et les traduire en justice » Combien de fois avez-vous entendu cette phrase après chaque assassinat ou massacre en Guinée ?

Thierno Aliou Diaouné ancien ministre assassiné le 6/02/2015 à Conakry
Thierno Aliou Diaouné ancien ministre assassiné le 6/02/2015 à Conakry

 

Dispositions nécessaires ! De quoi parle-t-on exactement ? Celles qui rendent justice ou celles qui entretiennent l’impunité ? A qui profitent ces crimes ? Quand on assassine une directrice nationale du trésor public ou un ancien ministre ? Le Modus operandi est presque le même, à quelques détails près. Crime crapuleux d’un groupe de voyous de quartier ou une mission commandée ? Nous ne faisons pas de spéculations mais nous nous posons des questions. Les services de police disposent-ils de moyens humains pour mener des enquêtes sérieuses ? J’insiste bien « moyens humains » autrement dit de compétences. On ne mène pas une enquête policière avec des descentes musclées dans des quartiers. C’est une démarche de réflexion, de recherche d’informations sur les raisons plausibles de cet acte. Et pour le faire, l’environnement immédiat (professionnel et personnel) de la victime doit être scruté avec diligence. Mais je raconte du n’importe quoi là ! On parle de la Guinée ? Le pays où on ne retrouve jamais de coupables parce qu’on ne cherchera jamais ! Les services de police comme d’habitude trouveront des raccourcis pour répondre à l’émotion collective. Dans un environnement de criminalité ambiante, le plus souvent « armée et en tenue militaire » (même s’ils sont toujours capables de dire qu’ils ne font pas partie des services de sécurité), ils nous sortiront quand même un groupe de bandits à la télévision nationale, comme quoi : « Voici les criminels qui ont assassiné l’ancien ministre Thierno Aliou Diaouné » Pourquoi ? On ne le saura jamais ! Les commanditaires ? Ils n’ont jamais existé ! Fin de l’histoire.
Revenons un instant sur le titre de cet article : « Du nouveau à Conakry » Vous pensez vraiment que c’est nouveau ? Les crimes, les assassinats, les massacres ne sont pas nouveaux. Tuer ou se faire tuer rentre dans le lot des banalités en Guinée. Mais les assassinats ciblés de personnalités publiques ! Voilà la nouveauté ces quatre dernières années ! Comme Ebola d’ailleurs ! Bref, c’était juste une parenthèse sur les nouveautés qui commencent à être inquiétantes.
L’assassinat lâche de cet acteur important de la société civile guinéenne est un crime de trop. Une psychose est née. Si pendant le premier régime la peur d’être dénoncé par son propre frère comme étant un contre-révolutionnaire et croupir en prison plusieurs années, était la principale crainte, cette fois-ci on te tue. Et c’est nouveau !
En sortant de sa maison le matin, chaque responsable ou acteur politique sait désormais qu’il n’est pas à l’abri d’un évènement pareil. Telle est la psychose qui est née et qui risque de modifier radicalement les habitudes mais aussi contribuer à amplifier les suspicions et la peur. Tous les théoriciens de la politique savent qu’un tel environnement constitue un terreau fertile pour l’implantation des dictatures. Ce ne sont pas des simples accusations mais nous soulevons plutôt des interrogations majeures. Qui parle aujourd’hui de l’assassinat de la directrice nationale du trésor public ou encore d’un responsable local d’un parti politique tous assassinés dans des conditions similaires ? Les autorités censées nous protéger appliquent la même démarche malsaine, à savoir : gérer cette courte période d’émotion collective avec une forte dose de déclarations d’intention qui sonnent faux, et s’attendre à un oubli collectif (une sorte d’amnésie collective). Car l’actualité guinéenne étant constamment et sciemment surchargée, les évènements récents enterrent automatiquement les précédents. C’est un pays qui piétine son passé même le plus récent. Du coup, toutes les questions importantes sont éludées. Mais, comme disait l’écrivain Québécois Yvon Rivard, ces questions éludées nous attendent toujours quelque part. Il va falloir rouvrir tous ces dossiers un jour pour espérer vivre dans un pays normal, qui assume son histoire même la plus douloureuse. Et pour cela, nous n’inventerons pas la roue mais nous nous conformerons aux recettes et démarches qui ont eu des résultats positifs ailleurs : la vérité et la justice. Pour reprendre une expression d’un défenseur des droits de l’Homme : « Aussi pénible soit-elle, la vérité doit être dite et les responsabilités doivent être attribuées et assumées. »

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Loi Antijihad de la France: La sécurité et La liberté

Ma chronique publiée dans le magazine ‘’Altermondes’’ en décembre 2014

Après la tuerie au siège de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, il s’avère nécessaire d’introduire un autre questionnement : comment préserver le modèle social républicain français face à cette menace djihadiste sans tomber dans l’amalgame et la polémique ? A lire très prochainement.

Bernard Cazeneuve, Ministre français de l'Intérieur
Bernard Cazeneuve, Ministre français de l’Intérieur

Voici l’article d’avant Charlie Hebdo

« Loi liberticide », « Cheval de Troie du tout-sécuritaire », les critiques fusent de la part des défenseurs des droits de l’Homme pour qualifier la nouvelle loi antiterroriste, dite « antijihadiste », adoptée à une large unanimité par le Sénat français, le 16 octobre dernier. À l’instar des lois votées au Royaume-Uni et en Australie, elle met en place toute une batterie de mesures pour répondre à la menace des « loups solitaires » : renforcement de la répression des actes de terrorisme, notamment le blocage de sites faisant l’apologie de ces actes, création d’un nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle et interdiction de sortie du territoire des candidats au jihad. La lutte contre le terrorisme est indéniablement légitime. Elle l’est au vu de l’intensité de la menace, mais, surtout, des mutations des parcours de radicalisation. De ce fait, la réadaptation des dispositions juridiques s’impose inéluctablement.

Toute la question est alors de savoir comment les États démocratiques doivent s’adapter aux réalités mondiales sans dévier des principes et des valeurs qui les fondent et structurent leur modèle de société. Garantir la sécurité des citoyens par l’adoption des lois dites « antijihadistes » doit-il amener les États à faire fi de libertés aussi fondamentales que celles de circulation, d’information ou encore de possession des biens licites tels que des magazines, des livres, au seul motif que ces derniers feraient l’apologie du terrorisme ou pourraient participer à la formation des jihadistes? Faudrait-il imposer un choix entre liberté et sécurité ? La question se pose aussi aux États africains qui apparaissent aujourd’hui comme le maillon faible de la lutte contre le terrorisme. Il ressort en effet de l’analyse des dispositifs antiterroristes mentionnés dans la plupart des législations nationales africaines une ambiguïté dans la définition de l’acte terroriste, mais aussi dans son incrimination. Déjà réputés pour le non-respect des droits humains, de façon générale et cela, bien avant l’inscription de la lutte contre le terrorisme comme une priorité mondiale, la plupart des États africains peinent à intégrer le caractère indissociable entre sécurité et droits humains. Montesquieu proclamait qu’il y a des droits de l’Homme supérieurs à toute loi humaine : la liberté individuelle, la sécurité, la liberté de penser, de parler et d’écrire. Vouloir restreindre ces libertés c’est, en quelque sorte, obtempérer face au défi lancé par les groupes terroristes pour lesquels la liberté n’a aucune valeur, seule la terreur devant régir ce monde. Les démocraties doivent trouver ce subtil dosage entre le besoin vital de se sentir en sécurité et la nécessité absolue de jouir des libertés fondamentales. On ne saurait sacrifier l’un à l’autre.

 

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


Nouvel An : Alpha Condé nous offre un discours de plus

Quatre discours de Nouvel An pour dire la même chose. Alpha Condé et ses conseillers en communication devraient revoir leurs copies pour mesurer l’ampleur des promesses et annonces non respectées depuis 2010. L’écart entre ces discours et la réalité est d’une évidence incontestable.

 

Alpha Condé Président de la Guinée
Alpha Condé Président de la Guinée

 

En vrac, je vous propose quelques extraits de discours de 2011 à 2015. Déjà le 21 décembre 2011, l’an 1 de son investiture, Alpha Condé prononçait un discours dans lequel il nous promettait : « A l’image de la préparation d’un champ, nous avons réussi durant les 12 mois derniers, à défricher, labourer et semer les graines qui annoncent d’abondantes moissons. 2012 sera pour la Guinée, l’année de la floraison et l’année de la transformation. C’est au cours de cette année 2012 que nous sentirons tous, de façon tangible, une amélioration progressive de notre mode de vie. C’est en effet en 2012 que nous moissonnerons les récoltes semées en 2011. » A l’évidence, la moisson se fait encore attendre.

A l’époque, le fameux code minier à la saveur hautement communiste était sa potion magique. Le fantasme était présent et sans évaluer les signaux défavorables sur le marché international des minerais de fer par exemple ou encore les réticences des sociétés minières par rapport à ce nouveau code minier, Alpha Condé et son gouvernement déclinaient partout les clauses de ces contrats et les « hypothétiques » réalisations futures : « Ces énormes projets de construction de routes, de chemins de fer, d’usines de transformation qui accompagnent naturellement des activités minières vont engendrer des milliers d’emplois qualifiés et bien rémunérés. Nous pouvons d’ores et déjà citer : la construction du chemin de fer « trans-guinéen », qui permettra de relier Conakry à Bamako… ; la construction des ports de Matakan et de Benty qui vont assurer l’exportation de nos minerais par des bateaux de 300,000 tonnes, et nous permettre aussi d’être très compétitifs face à la concurrence d’autres pays miniers ». Sans mentionner d’échéance, l’annonce de ces mégaprojets avait une simple visée propagandiste, faire rêver, sachant pertinemment que des préalables sont nécessaires et l’environnement instable des affaires alimentait les réticences des miniers. Mais toujours fidèle à sa gouvernance par annonce, Alpha Condé était dans son élément. Etre le plus grand marchant d’illusions du pays.

Les conditions de vie difficiles des guinéennes
Les conditions de vie difficiles des guinéennes

Concernant l’amélioration de la desserte en électricité, il déclarait dans ce même discours de décembre 2011 : « Bientôt les améliorations seront visibles. Vous avez été nombreux à suivre l’arrivée des groupes thermiques. 125 mégawatts supplémentaires suivent et vont permettre d’améliorer la desserte en électricité des foyers de la Ville de Conakry d’ici en 2012.Cela signifie que les populations de Conakry auront de l’électricité à plus de 16 heures par jour. » Pour ce qui est de l’eau, son discours de Nouvel An 2013 est plus éloquent, il nous annonçait : « Le gouvernement a mobilisé le financement nécessaire à la réalisation des travaux d’alimentation en eau potable des villes de Lola, Yomou, Gaoual, Lélouma et Tougué. Les travaux démarreront en 2013. »

Les autres victimes du manque d'électricité: les élèves.
Les autres victimes du manque d’électricité: les élèves.

Pour vérifier cela, nous n’avons pas besoin de débats, les ressortissants de ces différentes préfectures peuvent en témoigner. A défaut, les interrupteurs, les ampoules et les robinets de Conakry et de l’intérieur du pays sont des véritables indicateurs de confirmation ou d’infirmation.

Le 10e et 11e FED (Fonds européen de développement) ? Ils servent à quoi ces fonds ? Parlant du 10e FED dans son discours de Nouvel An 2013, Alpha Condé nous informait : « Nous avons enfin signé avec la Commission européenne l’accord pour le 10e Fonds européen de développement (FED). D’un montant total de 235 millions d’euros, cette enveloppe financière va permettre à la Guinée de réaliser des investissements essentiels dans les services sociaux de base, que sont la santé, l’eau, l’assainissement, et de bâtir les infrastructures routières indispensables à la circulation des personnes et des biens. » Et en 2015 il nous annonce : « Notre pays vient d’être déclaré éligible au onzième Fonds européen de développement de l’Union européenne, d’une valeur de 244 millions d’euros destinés à appuyer la Guinée dans la consolidation de l’Etat de droit et la promotion d’une administration efficace au service des citoyens. » On se demande finalement de quels investissements essentiels on parle. Engloutir des milliards à EDG (Electricité de Guinée) pour avoir de l’obscurité comme résultat. Ou encore avec la déliquescence du système de santé guinéen étalée au grand jour par l’épidémie d’Ebola, ces fonds ont plutôt servi à l’enrichissement illicite d’un petit groupe qu’à la réalisation des « investissements essentiels 

Dans un contexte Ebola, le « mouton noir » tout désigné pour endosser toutes les contre-performances du régime et servir de dissimulateur des multiples détournements de fonds, Alpha Condé sollicite une aide budgétaire en 2015 : « Nous comptons sur une aide budgétaire orientée vers nos priorités nationales en matière de santé publique ». Franchement, vous voulez une aide budgétaire mais pas de partenaires financiers pour les élections ?

L'équipe de la mission d'observation électorale de l'Union européenne lors des législatives de 2013
L’équipe de la mission d’observation électorale de l’Union européenne lors des législatives de 2013

Alpha Condé disait récemment qu’un Etat souverain doit pouvoir financer ses propres élections. Ça change quoi en termes d’affirmation de la souveraineté ? Il fallait simplement dire que vous ne voulez pas d’observateurs internationaux pour les élections futures. Ces fouineurs d’observateurs qui vous ont privé les communes de Conakry en 2013 lors des élections législatives. On comprend très bien vos préoccupations. Mais faites preuve d’un minimum de cohérence. Bref, revenons sur les discours.

La justice ? Dans le discours de Nouvel An 2013, Alpha Condé déclarait : « J’ai également érigé la lutte contre la corruption et le renforcement de l’Etat de droit en priorité. L’instauration d’un Etat de droit passe par une justice indépendante et équitable pour tous. L’année 2013 sera celle de la justice. Je mesure plus que quiconque la nécessité d’établir une justice respectée des justiciables et équitable entre les parties. » S’il y a un secteur qui a été profondément malmené depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir c’est bien celui de la justice. Le seul qui ait bénéficié d’une justice depuis l’arrivée d’Alpha Condé c’est bien sûr Alpha Condé lui-même dans la supposée attaque de son domicile en 2011.

 

Quelques faits marquants du régime
Quelques faits marquants du régime

Des dizaines de dossiers sont pendants aujourd’hui dans les juridictions du pays parce que tout simplement les principaux accusés se trouvent être des acteurs ou autres proches du pouvoir.

L’armée dans ces discours ? Oui ! C’est extrêmement important dans toute dictature de jauger le bruit de fond de la fameuse grande muette qui d’ailleurs n’est pas si muette que cela dans nos pays. Alors il faut d’un côté l’amadouer et de l’autre, la corrompre. Dans son discours de Nouvel An 2015, elle occupe une place de choix dans l’ordre des bénéficiaires des vœux : « Je voudrais également exprimer une pensée solidaire pour nos vaillants soldats qui sont mobilisés sous le drapeau international pour défendre la paix et traduire notre engagement à lutter sans relâche contre d’autres fléaux qui menacent notre région : le terrorisme international, la criminalité transfrontalière et les trafics en tous genres ». Déjà en 2011, son discours allait dans le même sens mais un peu plus délicat pour une catégorie, cependant la logique manipulatrice est la même : « Le départ à la retraite de 4.200 éléments se fera avec un plan d’accompagnement pour chaque homme. La fin de service dans l’armée comme dans la fonction publique en général doit bientôt être perçue comme une nouvelle opportunité et non comme un désespoir. » Ces malheureux retraités attendent toujours ce fameux plan d’accompagnement qui n’existe pas en réalité.Alpha militaire

Avec les leçons tirées de la parenthèse Moussa Dadis Camara, l’armée guinéenne vit aujourd’hui dans la suspicion permanente entre ses éléments. Une atmosphère instaurée par Alpha Condé et ses garants dans l’armée. Mais comme elle a une tradition de faire un coup d’Etat seulement à l’annonce de la mort d’un président, elle continuera à bénéficier des avantages de l’offre alléchante du pouvoir politique.

L’opposition ? Elle est plus présente dans les discours improvisés d’Alpha Condé que dans les discours officiels. A la place des traditionnels propos acerbes à son encontre, les discours officiels cherchent plutôt à justifier la « bonne foi » d’Alpha Condé à privilégier le dialogue. Même si les mots sonnent faux. Dans son discours de 2011 il disait : « Pour renforcer l’unité nationale, je veillerai personnellement à la poursuite du dialogue politique multipartite que j’ai initié en recevant les leaders politiques le 15 novembre dernier. Je ferai de mon mieux pour combler les différences, accueillir des opinions contradictoires et guérir les traumatismes de la division ». Aujourd’hui l’impasse politique est due à ce déficit de dialogue. La question du cadre consensuel dans le processus d’organisation des élections pose encore problème entre Alpha Condé et son opposition.

 

Les ténors de l'opposition guinéenne.
Les ténors de l’opposition guinéenne.

D’ailleurs, le caractère laconique sur la question dans son discours de Nouvel An 2015 laisse à réfléchir sur sa volonté réelle d’organiser des élections transparentes cette année : « L’année 2015 s’annonce comme une grande année électorale. Nous avons l’impérieux devoir de réussir ces élections afin de poursuivre dans la sérénité, les grandes réformes dont notre pays a besoin pour son développement économique et social ». A moins d’un an de la fin de son mandat présidentiel, Alpha Condé « renouvelle » les mêmes promesses annoncées en 2010 en se projetant dans le futur qui semble inaccessible : « C’est cet avenir que nous devons construire ensemble. Une nouvelle gouvernance, fondée sur une large ouverture politique, économique et sociale et la rigueur dans la gestion de la chose publique… Nous fixer de nouveaux horizons… Dessiner ensemble les contours d’un futur plus prometteur. »

Ce « futur plus prometteur » ! Reste à savoir s’il en fera partie ou si les Guinéens le déposeront à la prochaine gare pour solliciter un autre conducteur du train Guinée.

 

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


L’autre urgence guinéenne : organiser les élections

Nous vous livrons la synthèse du dernier Rapport d’International Crisis Group publié le 15 décembre 2014

La Guinée est censée organiser une élection présidentielle en 2015. Le passé électoral du pays, l’échec du dialogue entre le pouvoir et l’opposition sur cette question et le report sine die des élections locales prévues début 2014 sont de mauvais augure.

International Crisis Group
International Crisis Group

 

Avec une scène politique clivée et ethnicisée, en proie à une épidémie d’Ebola qui affaiblit son économie, la Guinée a deux options : établir par le dialogue un cadre crédible pour la deuxième élection présidentielle libre de son histoire, cadre qui pourrait inclure un report négocié, ou prendre le risque de l’instabilité et de la violence interethnique. Pour réduire ce risque, l’exécutif guinéen, qui a la maitrise des institutions et du rythme politique, doit impérativement construire avec l’opposition et les partenaires internationaux un consensus minimum sur le dispositif électoral.

Ce consensus doit être plus solide que celui qui avait permis d’organiser, avec presque trois ans de retard, le scrutin législatif de septembre 2013. Ces élections avaient été précédées par de vives controverses et de violentes manifestations. Si la tranquillité du jour de vote a été saluée, l’opposition a dénoncé des fraudes et réclamé un temps l’annulation des élections. Bien des observateurs extérieurs n’ont pas caché leurs doutes quant à la qualité du scrutin. Les tensions sont toutefois restées contenues pour deux raisons principales : l’opposition considérait les législatives comme secondaires et les partenaires internationaux ont joué un rôle de facilitation.

Or la situation est différente pour les élections qui s’annoncent. D’abord, la présidentielle est le scrutin le plus important dans un système présidentialiste. Ensuite, le pouvoir a déjà indiqué qu’il n’était pas favorable à une implication internationale forte. Enfin, les législatives ont confirmé la forte dimension ethnique du vote : les deux principales communautés du pays, peul et malinké, sont très majoritairement mobilisées derrière, respectivement, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, la principale formation d’opposition, et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) Arc-en-ciel, le parti du président Alpha Condé.

Alpha Condé
Alpha Condé

Par ailleurs, malgré ou à cause des bricolages des dernières années, le dispositif électoral souffre encore d’un flou normatif et institutionnel important, y compris quant au calendrier. La date de la présidentielle n’est ainsi toujours pas fixée. Même là où des règles claires existent, le système juridique peine à s’imposer comme recours crédible. Manquent des institutions essentielles du point de vue électoral, en particulier la Cour constitutionnelle, qui doit remplacer la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Quant au dialogue enfin engagé en juillet 2014 entre pouvoir et opposition pour essayer de clarifier ce cadre légal, il a vite échoué, les deux parties ne s’accordant pas sur la version écrite des accords verbaux obtenus à la fin de cette session de dialogue.

Si le risque d’une intervention de l’armée n’est plus aussi fort qu’avant, les tensions politiques sont inquiétantes. L’opposition, qui a hésité un temps à organiser des manifestations, officiellement à cause de l’épidémie d’Ebola, a annoncé en novembre 2014 qu’elle allait remobiliser. La controverse autour des élections alimente un climat de communautarisme. Elle contribue à ralentir encore le développement économique et participe de la difficulté de l’Etat à mobiliser la société dans la lutte contre Ebola. Il est encore temps de créer un consensus minimum sur le dispositif électoral.

Pour cela, les étapes suivantes sont nécessaires :

-Convier, à la demande du président Condé, le pouvoir et l’opposition à une nouvelle session de dialogue sur le dispositif électoral. Ce dialogue devra être fondé sur un travail préalable de chacune des deux parties, qui présenteront de façon précise, globale et réaliste, les aménagements qu’elles jugent nécessaires. Ce dialogue devra inclure une personnalité de haut rang issue de la présidence de la République.

-Convenir dans le cadre de ce dialogue d’un calendrier électoral réaliste, sans exclure un report de la présidentielle s’il s’avérait utile à une réelle amélioration du dispositif électoral ; compte tenu de l’importance des autorités locales dans l’organisation des élections et de leur remplacement controversé par des administrateurs nommés par l’exécutif, prévoir, à titre de mesure de confiance, la tenue des élections locales au minimum trois mois et au maximum six mois avant la présidentielle afin de laisser le temps aux élus locaux de s’installer dans leurs fonctions.

-Recomposer la Commission électorale nationale indépendante (CENI) en reconnaissant pleinement son caractère politique, la totalité des commissaires devant être choisis de façon exclusive et paritaire dans le camp présidentiel et dans l’opposition, et y assurer un fonctionnement par consensus.

-Promulguer par décret présidentiel les lois organiques concernant l’Institution nationale des droits humains (INDH) et la Cour constitutionnelle telles que votées par le Conseil national de transition et prendre les dispositions pratiques, y compris budgétaires, nécessaires à l’entrée en fonction rapide de ces institutions.

-Dépêcher au plus vite, sur une demande des autorités guinéennes appuyée par l’opposition, une mission d’évaluation des Nations unies sur l’état des préparatifs électoraux.

-Préparer, à la demande des autorités guinéennes, des missions d’observation électorale crédibles et de long terme de l’Union européenne et de l’Union africaine, qui couvriront la présidentielle mais aussi, de façon exceptionnelle, les élections locales, au moins à Conakry, en Moyenne Guinée et dans la région de Nzérékoré.

Dakar/Bruxelles, 15 décembre 2014

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/

 


Folklore politique à Conakry : Alpha Condé « invente » un statut de chef de file de l’opposition

Le régime est face à une équation difficile à plusieurs inconnues. 2015 c’est demain. Après 4 années au pouvoir, il est encore à la phase des promesses et des accusations sur son héritage. « J’ai hérité d’un pays mais pas d’un Etat ». Le hic: ce discours ne marche plus.

Après avoir longtemps surfé sur la fibre ethnique, toutes les composantes ethniques du pays ont finalement compris que leurs liens séculaires sont plus puissants que les contradictions politiques alimentées par des politiciens en manque de projet. Ce discours là aussi ne marche plus.

Les conditions de vie des Guinéens se dégradent chaque jour. Les promesses populistes d’autosuffisance alimentaire avec des campagnes agricoles budgétivores et inefficaces ne sont pas tenues. Pour l’électricité et l’eau, l’échec est patent. Point de discours, on constate.

Enfin, un invité surprise et dramatique : Ebola. Certains pourraient dire que c’est la faute à « pas de chance ». Mais non ! Avant Ebola il y avait Alpha et les symptômes sont presque identiques, à quelques détails près.

Sur le plan international, les labels de reconnaissance ou de lobbying (Bernard Kouchner, Georges Soros, Tony Blair ou encore Vincent Bolloré) que brandissait Alpha Condé à chaque occasion n’émettent plus de signaux allant dans le sens de l’amélioration des conditions de vie des Guinéens. Ces célébrités dans le monde des affaires ne font pas de la philanthropie mais des affaires. Ici encore la réalité a démonté les discours creux et les promesses farfelues.

2015 c’est demain. Alors comment organiser un holdup électoral ? Avec son bilan catastrophique, Alpha Condé ne mènera aucune campagne pour convaincre les électeurs. C’est peine perdue et il le sait. Alors il expérimentera la méthode Laurent Gbagbo. La PROLONGATION. Les alibis, même s’ils ne sont pas très convaincants, existent. Comme à son époque Gbagbo avait utilisé la rébellion au nord de la Côte d’Ivoire, Alpha Condé compte utiliser l’épidémie d’Ebola. Mais dans le contexte actuel où il y a une certaine accalmie dans la propagation rapide de l’épidémie et les conséquences désastreuses de cette situation sur les conditions de vie des Guinéens, les populations commencent à s’interroger sérieusement sur leur avenir. Sortir de la fatalité et de la longue attente qui semble s’éterniser, les Guinéens veulent en finir une fois pour toute et finalement vivre dans un pays normal.

L’opposition qu’Alpha Condé a voulu caser dans les débats futiles à l’Assemblée nationale commence à saisir l’ouverture d’une fenêtre d’opportunités et elle ne compte pas se laisser berner une troisième fois après la présidentielle de 2010 et les législatives de 2013.

2015 c’est demain. Alpha Condé et ses acolytes commencent à paniquer car les signaux sont mauvais et la tâche de tripatouillage électoral dans un tel contexte semble titanesque. Alors, un beau matin, comme par enchantement, lui et ses collaborateurs se rappellent soudain qu’il y a une possibilité d’instituer le statut de chef de file de l’opposition comme cela existe au Burkina Faso et dans d’autres pays. Toute initiative institutionnelle allant dans le sens du renforcement réel de la démocratie est à saluer. Mais, dans le contexte actuel, les motivations qui sous-tendent cette initiative sont essentiellement manipulatrices. Les effets à court terme qu’espéraient les promoteurs de cette ignominie étaient de semer la zizanie au sein de l’opposition notamment entre les trois ténors (Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté). Avec lucidité, ces trois ténors ont réussi à tuer la polémique dans l’œuf par la banalisation de l’annonce faite par Alpha Condé de vouloir « introniser » Cellou Dalein comme chef de file de l’opposition. Ce machin institutionnel appelé « chef de file de l’opposition » n’est qu’une arnaque (expérimentée par certains Etats africains) dans le seul but de diviser les forces de  l’opposition. Avec un budget et d’autres avantages, ce petit chef fera de la figuration protocolaire et contribuera à l’affaiblissement de l’opposition en générale.

Malgré tout, Alpha Condé persiste dans sa logique de placement de peaux de banane même s’il est convaincu que les chances de voir l’opposition glisser facilement dessus sont très minimes aujourd’hui. Mais pourquoi alors persiste-t-il désespérément à toujours ramener les vieilles recettes communistes qui ont largement montré leurs limites ? Cette manie de surcharger l’actualité politique dans l’espoir de détourner l’attention des vraies questions, Alpha Condé en use et en abuse depuis 2010.

Du coup, les observateurs et ses adversaires politiques devinent facilement aujourd’hui la suite de ses agissements. C’est comme une cassette d’un même auteur qui tourne en boucle ou encore les idioties quotidiennes d’Alhousseine Makanera sur les ondes des radios à Conakry.

Sékou Chérif Diallo


Ma Guinée, ma dépression et mon combat

« Tu as l’air triste ! » me demande-t-on souvent. Ma réponse est souvent « Ça va je vais bien ! ». Avec un sourire de tristesse pour paraître normal, rongé par l’incertitude et le doute, depuis un certain temps j’incarne un personnage différent. Toute ma fierté d’autrefois est remise en question mais pas forcément mon âme et mes convictions.Afrique-confiance

Fataliste résigné ? Non ! Réaliste obstiné. Oui ! J’essaye d’avancer, loin de subir, je résiste. Avec un cœur meurtri mais plein d’espoir, j’appréhende la réalité avec une certaine lucidité et sans prétention aucune. Ce combat est le mien, c’est un choix conscient que certains appelleront idéaliste mais j’y crois. Sociologue, j’ai cherché à comprendre l’Homme, ses actions et ses motivations. Journaliste, j’ai opté pour le partage et la liberté d’opinions.

Influer positivement sur les mentalités, ma démarche est avant tout pédagogique. J’apporte une modeste pierre à l’édifice. Je viens d’un pays ‘’célèbre’’ je voulais dire ‘’tristement célèbre’’ par l’image qu’il véhicule dans la presse internationale (26 ans de régime dictatorial de Sékou Touré avec son cortège macabre, 24 ans de régime militaire de Lansana Conté, une parenthèse d’une année de Moussa Dadis Camara avec le massacre du 28 septembre 2009 et 4 années de désillusion avec Alpha Condé et comme couronnement malheureux, l’épidémie d’Ebola). Avec un tel diagnostic, les raisons de ce combat sont évidentes : Il faut agir et sortir de cette fatalité ambiante. Se poser les bonnes questions en privilégiant l’essentiel. Toutes les sociétés à un moment donné de leur histoire ont interrogé leur intellect sur le ‘’pourquoi’’ et le ‘’comment’’.

« Tu n’es pas un patriote toi ! » me reprochent certains esprits étroits qui ne perçoivent que la superficialité des choses. Le patriotisme, un terme profondément galvaudé dans mon pays. Toutes idées ou positions contraires à la ‘’pensée unique’’ celle du pouvoir, sont perçues comme ce que Sékou Touré appelait dans les années 70 contraires à « la classe peuple ». Alpha Condé, l’actuel président de la Guinée n’est ni socialiste, ni communiste, ni libéral, il est simplement un « improvisionniste », autrement dit, un président sans aucune visibilité sur un quelconque programme de développement. democratie-moutonniere

Dans un environnement politico-médiatique où les faits divers ont plus d’échos que les programmes d’éducation ou de santé, il va s’en dire qu’Alpha Condé tire son épingle du jeu. Quelle alternative alors ? Avec une opposition piégée dans ses compartiments ethnico-régionalistes, elle est plutôt une chance pour le pouvoir qu’un obstacle car elle contribue et alimente les débats qui sont en déphasage avec les préoccupations des guinéens. L’armée ? Jamais je ne miserais sur elle. Tout coup d’Etat militaire est un recul démocratique. La jeunesse ? Quelle jeunesse ? Celle qui se laisse manipulée par des politiques à coup de billets de banque ? Les potentialités démagogiques de ce pays sont consternantes.

Sur qui compter alors ? Point de réponse et c’est inquiétant. La lecture faite par la fameuse communauté internationale est malheureusement biaisée ou sciemment orientée. Mais, je ne ramène pas ici ce traditionnel discours réactionnaire truffé de clichés sur la coopération Nord-Sud. Aujourd’hui l’enjeu est d’offrir à nos populations des conditions de vie décente et pour ce faire le leadership politique doit être repensé. Reprendre l’initiative, le peuple burkinabé vient de donner l’exemple.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/


La Nouvelle écologie : les enjeux d’aujourd’hui et de demain

Patricia-Ricard-source-ouest-var.net_
Patricia Ricard

Dans le cadre des traditionnels Mardis de l’environnement consacrés à un débat sur un thème dédié à l’environnement et à la biodiversité, s’est tenu le mardi 7 octobre 2014 au siège de la Fondation d’entreprise Ricard à Paris, une rencontre d’échanges sur les bonnes pratiques de préservation de l’environnement afin disent-ils « sauver la planète ».

Selon une statistique des Nations unies, en 2100 les terriens seront 11 milliards d’où l’urgence et la nécessité d’agir. Animé par Patricia Ricard, cet espace de débat a connu la participation d’acteurs venus de plusieurs milieux socioprofessionnels. Pour ainsi rassurer ceux qui commencent à penser que l’écologie a disparu des radars, la “nouvelle écologie” est le concept choisi pour illustrer le passage selon Patricia Ricard d’un stade de “diffusion excessive” à un stade d’”infusion active” sur les questions écologiques.

Après une revue de l’actualité écologique marquée essentiellement par les débats autour du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (qui vient d’ailleurs d’être adoptée par l’assemblée nationale le 14 octobre 2014 par 314 voix pour et 219 voix contre), le panel d’écologistes a réaffirmé l’impérieuse nécessité de préserver l’environnement au risque d’hypothéquer l’avenir de la planète. Comme l’a souligné d’ailleurs la ministre Ségolène Royal lors du vote de la loi “Tout citoyen a deux patries, la sienne et la planète. En votant cette loi vous servez l’une et l’autre”.

"Nos voies d'espérance" d'Olivier le Naire
« Nos voies d’espérance » d’Olivier le Naire

Pour Olivier le Naire, rédacteur en chef adjoint du service Sciences Environnement de l’Express et auteur de “Nos voies d’espérance” paru en octobre 2014 chez Actes Sud, d’autres modèles, plus efficaces, plus justes et plus vertueux sont possibles. En publiant dix entretiens menés auprès de dix personnalités de haut niveau afin qu’elles livrent leur diagnostic, proposent des remèdes pour guérir la société, Olivier le Naire a voulu à travers ce livre démontrer que les voies de l’espoir existent bel et bien. Pour reprendre son expression, les gens ont besoin d’« entendre des voix pour montrer la voie »

Stéphane RIOT
Stéphane RIOT

Quant à Stéphane Riot, fondateur de NoveTerra, écosystème d’experts et de chercheurs pour accompagner à la réinvention vers les nouveaux business modèles durables et auteur de “Vive la CoRévolution, pour une société collaborative”, le développement de l’économie de partage est une résultante heureuse de la crise car les gens se sont rendu compte d’une nécessité de collaboration. Cette prise de conscience du partage est aujourd’hui en train de transformer le model social en impactant sur les modes de vie, les manières d’entreprendre basées sur la collaboration.

Toujours dans cette dynamique d’économie solidaire, Cedric Pechard fondateur de UpCycle reviendra sur l’importance d’exploiter les opportunités à travers la conception ou l’innovation des nouveaux modèles de production basés sur la valorisation localement des ressources inutilisées où selon l’expression de UpCycle “les déchets des uns deviennent les ressources des autres”.
Il reviendra enfin à Philippe Girard, directeur de « Innovation en action » de mettre l’accent sur la coopération avec comme exemple le projet « Trophées de la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises, ndlr) » qui récompense toutes les organisations du territoire PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) de 5 salariés et plus, qui ont à cœur de mettre l’homme, l’environnement, la territorialité et les parties prenantes au centre de leurs préoccupations et de façon transversale.
Rendez-vous le 2 décembre 2014 pour une autre rencontre de Mardi de l’environnement.

Sékou Chérif Diallo

https://www.afriquesociologie.com/